Dossier Dabo Boukary : Le jugement 32 ans après les faits


Parmi les 19 dossiers inscrits au rôle de la troisième session la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou ouverte ce 19 septembre 2022, figure l’emblématique dossier Dabo Boukary, étudiant de 7e année de médecine, mort dans des circonstances jusque-là, jamais élucidées. Les mis en cause sont Gilbert Diendéré, capitaine au moment des faits, Mamadou Bamba et Magloire Yougbaré, sergent à l’époque. Ce dernier étant absent et considéré comme fugitif, il sera jugé par défaut.
Ils sont poursuivis pour « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée », « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée, complicité de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et recel de cadavre », « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée ». Suivez les grandes lignes du Procès Dabo Boukary.
19 septembre 2022
11h 30 – 32 ans après les faits, il s’agit de l’un des procès les plus attendus au Burkina Faso.
Accusés de « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée », « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée, complicité de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et recel de cadavre », « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée », les mis en cause sont Gilbert Diendéré, capitaine au moment des faits, Mamadou Bamba et Magloire Yougbaré, sergent à l’époque. Ce dernier étant absent et considéré comme fugitif, il sera jugé par défaut. Ainsi en a décidé le tribunal.



Comme pour tous les procès dans lesquels il était impliqué, le Général Gilbert Diendéré, condamné à vie à l’issue du procès Thomas Sankara, est bien présent dans la salle d’audience pour son jugement.
Également dans la salle d’audience, sont présents les avocats Me Prosper Farama, Me Bénéwendé Sankara et Me Ambroise Farama pour défendre les intérêts de la partie civile.
Gilbert Diendéré est défendu par Me Mathieu Somé. Ce dernier s’exprimant au micro de Faso7, estime que toutes les conditions ne sont pas réunies pour la tenue du procès.
« Tout est réuni ? Je ne pense pas. Parce que si vous remarquez, il n y’a que des présumés complices qui sont là, quand on parle de complicité, les auteurs où ils sont ? Je ne sais pas. Donc de ce point de vue je ne peux pas être affirmatif », a-t-il laissé entendre.
Quant à Me Prosper Farama, l’un des avocats de la partie civile, il souhaite que les décisions qui seront rendues à l’issue de ce procès tant attendu, soient respectées.
« Nous osons espérer que nous faisons pas tout cela juste (…) pour les besoins d’un folklore. Que les décisions de justices qui soient rendues, quelques soient les sens dans lesquelles ces décisions seront prises, qu’elles soient respectées. Il ne faudrait pas que pour des considérations d’ordre politiques nous venions prétendre que nous rendons justice et pour la suite, venir piétiner les décisions de justice », s’est-il exprimé.



Plusieurs étudiants, militants de l’union générale des étudiants burkinabè (UGEG) qui avait manifesté son désir de se constituer partie civile, sont aussi présents dans la salle d’audience.
En rappel, Dabo Boukary était un étudiant en 7e année de médecine en 1990 à l’Université de Ouagadougou et militant actif de l’Association Nationale des Étudiants Burkinabè (ANEB). Il avait été enlevé puis conduit au Conseil de l’Entente suite à un mouvement d’humeur des étudiants. Selon l’ANEB, c’est à mort qu’il a été torturé.
18h 30 – Procès Dabo Boukary : Gilbert Diendéré plaide non coupable
Appelé à la barre ce 19 septembre 2022 pour s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés dans le cadre du procès Dabo Boukary, Gilbert Diendéré, capitaine au moment des faits et chef de corps du Centre national d’entraînement commando de Pô, dit ne pas reconnaître les faits.
Selon Gilbert Diendéré, au moment des faits, c’est-à-dire le 19 mai 1990, il n’était pas à Ouagadougou. Il dit être revenu de la province le soir et ne s’est pas rendu au Conseil de l’entente ce jour-là. Il a été mis au courant du décès d’un étudiant, seulement tard dans la nuit par le sous-officier de permanence du Conseil de l’entente.
« C’est le soir, aux environs de 23 heures que le sous-officier de permanence est venu m’informer qu’un civil est mort à la permanence. Je suis allé voir à la permanence et j’ai vu le corps de Dabo Boukary. Je ne connaissais pas son nom. (…) J’ai demandé comment cela est-il arrivé. On m’a dit que c’est Somé Gaspard. Comme il n’était pas là, je suis allé immédiatement rendre compte au président du Faso », narre-t-il.
A en croire l’accusé, le président du Faso au moment des faits, notamment Blaise Compaoré, après avoir été mis au courant du décès de l’étudiant au sein du Conseil de l’entente, est rentré en colère.
« Il était énervé. Il m’a dit que comme il en est ainsi, va prendre les dispositions pour l’enterrement. Je vais voir Salifou Diallo pour qu’il informe la famille », selon lui.
Somé Gaspard était sous la responsabilité de Gilbert Diendéré, mais celui-ci a précisé devant le tribunal que dans la commission des actes qui ont conduit à la mort de Dabo Boukary, il n’était pas associé. « Somé Gaspard était sous mon commandement, mais il n’a pas agi sur mon commandement », déclare le Général au tribunal.
« Qu’est-ce qui a entraîné la mort de Dabo Boukary ? », interroge le juge.
« On m’a dit qu’ils ont été manœuvrés à travers des pompes, des pirouettes et autres, des exercices physiques. Dabo Boukary, lui, n’a pas supporté ça », a répondu le Général.
C’est à Pô que Dabo Boukary a été enterré, le 20 mai 1990, selon Gilbert Diendéré.
20h 15 – Vidéo – Procès Dabo Boukary : Réaction de Me Prosper Farama, avocat de la partie civile
20 septembre
23h – « Pardon ! Je ne le ferai plus », les dernières paroles de Dabo Boukary avant sa mort au Conseil de l’Entente
À la reprise du procès dans la matinée de ce mardi 20 septembre 2022, peu avant 10 heures, le juge a appelé à la barre, les témoins pour leurs dépositions.
À la barre, maître Halidou Ouédraogo, président du Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) au moment des faits s’est exprimé non seulement sur ce qu’il a en lien avec les faits au moment des manifestations des étudiants jusqu’à la recherche de Dabo Boukary et les actions judiciaires entreprises après le décès de l’étudiant.
Appelé également à être entendu en tant que témoin, l’actuel ministre en charge de la sécurité, le colonel-major Omer Bationo, dit ne rien savoir en lien avec le dossier Dabo Boukary. « Je n’ai pas grand-chose à dire sur cette affaire parce que, tout simplement, je n’étais pas là. (…) J’étais absent au moment des faits », s’est-il exprimé. À l’en croire, il était hors du territoire burkinabè au moment des faits. Cette déclaration a cependant été contredite par d’autres témoins qui disent l’avoir aperçu au Conseil de l’entente, lieu où Dabo Boukary a perdu la vie.
Interrogé en tant que témoin oculaire, Aboubacar Coulibaly, étudiant à l’Université de Ouagadougou au moment des faits, dit avoir été arrêté, détenu et avoir subi des sévices au sein du Conseil de l’entente avec d’autres étudiants dont Dabo Boukary.
« Quand on me bastonnait, on arrosait Dabo Boukary et quand on arrosait Dabo Boukary, on me bastonnait », confie-t-il au juge.
À en croire Aboubacar Coulibaly, après les bastonnades subis, Dabo Boukary et lui ont été conduits dans une « salle attenante » à la permanence du Conseil de l’entente où ils ont retrouvé trois autres étudiants dont Sansan Jean-Yves Kambou et Nigbé Somé.
Prenant la parole, Sansan Jean-Yves Kambou a précisé au tribunal que c’était dans une douche dans laquelle il y avait une fuite d’eau, qu’ils ont été détenus, lui et ses camarades étudiants, dont Dabo Boukary. Selon le témoin, leurs geôliers, notamment des militaires du Conseil de l’entente, dont Somé Gaspard, avaient déposé « un papier A4 » en intimant à chacun des étudiants d’y inscrire son nom.
Selon le témoin, affaibli par les coups qu’il a reçus, Dabo Boukary n’a pas réussi à inscrire son nom sur la feuille. Et en rejoignant sa cellule, c’est-à-dire les toilettes où étaient détenus ses camardes, il s’est mis à vomir du sang. « Quand on nous a fait rentrer dans les toilettes, Dabo ne tenait plus sur ses jambes. En partant, il a vomi du sang et des grains de riz. Et quand ils nous ont poussés dans la maison, Dabo est tombé juste devant la porte et ils ont refermé », a laissé entendre Sansan Jean-Yves Kambou, dans une salle d’audience majoritairement remplie d’étudiants, militants de l’Union générale des étudiants burkinabè.
Devant le juge, les trois anciens détenus disent unanimement que c’est après leur retour dans la douche où ils étaient détenus, que l’étudiant en 7e année de médecine, Dabo Boukary, a rendu l’âme.
« Dabo a émis un cri. C’était son dernier cri. Il a dit, ‘’Pardon ! Je ne le ferai plus’’. Et c’était le silence total », a également confié Sansan Jean-Yves Kambou.
Avant de terminer sa déposition, Sansan Jean-Yves Kambou a indiqué qu’après le Dabo Boukary, 3 des étudiants vivants dont lui-même ont été amenés à l’Escadron motocycliste (EMC) de Pô et ils ne sont revenus à Ouagadougou qu’en fin décembre 1990. De retour à Ouagadougou, selon lui, ils ont ont été reçus par le Gilbert Diendéré, capitaine au moment des faits, par ailleurs Chef de corps du centre national d’entraînement commando de Pô (CNEC).
« Gilbert Diendéré nous a dit que nous sommes libres à condition qu’on la ferme et que le Burkina est petit. Il pourrait nous retrouver », a-t-il confié au juge.
Il faut noter que lors de l’audition des témoins, le procès-verbal d’audition de feu Salifou Diallo, directeur de cabinet de Blaise Compaoré au moment des faits, a été lu.
« J’étais au Mali quand le président du Faso m’a appelé dans la nuit pour m’informer que les éléments du conseil de l’Entente ont manœuvré un étudiant et qu’il est décédé. (…) Je n’ai jamais donné d’ordre à qui que ce soit », peut-on retenir de ce procès-verbal d’audition effectué avant le décès du témoin.
Débutées dans la matinée, les auditions des témoins se sont poursuivies jusqu’à la suspension de l’audience à minuit. Elles reprendront ce mercredi 21 septembre avec l’audition de deux autres témoins.
21 septembre
14h 30 – Procès Dabo Boukary : Les témoins entendus pendant plus de 24 heures
Débutées dans la matinée du mardi 20 septembre 2022, c’est dans l’après-midi de ce mercredi 21 septembre 2022 que les auditions des témoins ont pris fin.
En plus des témoins, certaines victimes, notamment des étudiants qui avaient été détenus au Conseil de l’entente au moment des faits, ont aussi été entendus.
L’un d’entre eux qui était étudiant en 5e année de médecine au moment des faits et membre de l’ANEB, dit avoir perdu deux années d’études car il avait été non seulement détenus pendant plusieurs mois à Pô, mais aussi parce qu’il avait été exclu de l’université.
Suspendu à 13h17, le procès doit reprendre une heure après avec la plaidoirie de la partie civile suivie des réquisitions du ministère public. La plaidoirie des avocats de la défense viendra boucler les débats avant le délibéré du tribunal.
18h 00 – 7 ans de prison ferme requis contre Gilbert Diendéré
Poursuivi pour des faits de « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée », « complicité de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et recel de cadavre », le procureur du Faso dans ses réquisitions a estimé que la culpabilité du Général Gilbert Diendéré est établie seulement pour les faits de « séquestration aggravée » tout en précisant que bien que les faits de « recel de cadavre » soient constitués, ils ne peuvent pas être retenus contre l’accusé pour cause de prescription. Il a requis contre lui, une peine d’emprisonnement de 7 ans ferme.
Quant au Colonel Bamba Mamadou, le ministère public estime que sa culpabilité est établie pour les faits de « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée ». Il a requis son emprisonnement ferme pendant 10 ans et une amende de 20 millions F CFA.
Pour le troisième accusé jugé par défaut notamment Yougbaré Magloire, accusé « complicité d’arrestation illégale et complicité de séquestration aggravée », le parquet l’a déclaré coupable et a requis à son encontre, une peine d’emprisonnement à vie et une amende de 10 millions de FCFA.
L’audience a été suspendue après les réquisitions du parquet. A la reprise, les avocats de la défense prendront la parole pour leurs plaidoiries.
22 septembre
1h05: Le verdict
Accusé de « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée », « complicité de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et recel de cadavre », dans le cadre du dossier Dabo Boukary, le Général Gilbert Diendéré a été reconnu coupable seulement pour les faits de « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée ». Dans sa décision, le juge a indiqué que les faits de « complicité de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et recel de cadavre » ne peuvent pas faire objet de poursuite pour cause de prescription.
Gilbert Diendéré a été condamné à 20 ans de prison ferme et à payer une amende d’un million de F CFA.
Le Colonel Bamba Mamadou a été également reconnu coupable par la cour pour les faits de « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée » et condamné à 10 ans de prison ferme avec le payement d’une amende d’un million de F CFA.
Quant au troisième accusé Yougbaré Magloire, accusé de « complicité d’arrestation illégale et de complicité de séquestration aggravée », il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement de 30 ans et 5 millions d’amende de F CFA.
La cour a également décidé de décerner un mandat d’arrêt contre Yougbaré Magloire.
Pour réparation, un avocat de la partie civile s’exprimant au nom des ayants droit de Dabo Boukary et de l’UGEB, a demandé un franc symbolique pour les ayants droits et un franc symbolique pour l’UGEB. Il a également demandé la construction de la tombe de Dabo Boukary.
Prenant la parole pour exprimer ses dernières pensées avant la décision du juge, Gilbert Diendéré avait non seulement remercié ses avocats et toute la cour pour les efforts fournis pour la manifestation de la vérité, mais il a aussi demandé pardon au nom des auteurs des faits.
« J’ai eu l’occasion de dire devant tout le monde que je n’ai pas participé à l’arrestation et à la torture de Dabo Boukary. Certaines des personnes responsables des faits ne sont plus de ce monde. Je voudrais demander pardon à tout le monde, surtout à la famille de Dabo Boukary, au nom des personnes responsables des faits », a-t-il laissé entendre.
La réaction de Me Prosper Farama, de la partie civile
La réaction de Me Latif Dabo, avocat de Gilbert Diendéré
Très bon rapport du procès Dabo Boukary.