Burkina Faso : Entre tristesse et colère, la marche de Titao fait couler des larmes


Ce 26 juin 2021, le soleil s’est à nouveau levé sur le Loroum, au Burkina Faso. Pour les habitants de cette province distante de 40 km seulement de Ouahigouya, c’est une énorme chance, disent-ils. Pourquoi ? La raison, en proie aux attaques terroristes, les habitants disent ne pas savoir à quel moment ils seront tués. Ils se sentent abandonnés. Ayant donc « eu la chance de se réveiller ce matin », les populations ont décidé de sortir manifester. Manifester contre qui et contre quoi ? La raison principale évoquée est la recrudescence des attaques terroristes et la réaction qualifiée de monotone du gouvernement, selon les Loroumois. Pour en savoir plus, il faut aller au contact des organisateurs de la manifestation. C’est la raison de la présence de l’équipe de Faso7.
Parti de Ouahigouya après y avoir passé la nuit, nous rejoignons Titao en passant par l’unique voie principale. En cours de route, les seules personnes que nous croisons, sont des militaires, armés, masqués, casqués et gantés. Certainement une patrouille.
Au bord des voies, malgré le début d’hivernage, les champs sont presque vides. Un fait très rare au Burkina Faso où la majorité de la population vit des travaux champêtres. Où sont donc les braves paysans de la province du Loroum ? Cette interrogation interne trouve sa réponse quelques minutes plus tard lorsque notre véhicule se gare devant la gendarmerie de la ville pour les contrôles d’usage.
Pendant qu’un gendarme vérifie nos documents, une foule, une marée humaine, débouche sur la gendarmerie. « Mettez-vous à l’abri !», nous lance le gendarme en rejoignant rapidement ses autres collègues postés à l’entrée de la brigade.
A la vue de cette immense foule, nous comprenons dès à présent que les champs aperçus en cours de route sont vides parce que leurs occupants ont rejoint les autres paysans de Titao pour marcher. Marcher pourquoi ? Une autre interrogation qui ne trouve pas de réponse à l’instant car il faut se mettre à l’abri, comme le recommande le gendarme.
Devant la gendarmerie, la tension est forte. Plus les manifestants approchent, plus leurs yeux rouges se dévoilent. Malgré la proximité, le slogan principal scandé « On veut la paix ! », a du mal à être entendu. De leur côté, les gendarmes restent calmes. Sur l’une des pancartes dirigées vers eux, on peut lire « Donner des armes à nos VDP (Volontaires pour la défense de la patrie, NDLR) ».
Débordés, les organisateurs, banderoles noirs attachés autour du bras, arrivent tout de même à emmener les manifestants à quitter la devanture de la gendarmerie. Ouf de soulagement pour tout le monde.
« Tond yaa min ! »
Dans la foule, il y a un mélange générationnel. Non seulement il y a les jeunes, mais également ces personnes du troisième âge, hommes comme femmes, à l’image de cette vieille femme qui, malgré son âge très avancé, parvient à suivre le rythme de la marche.
Il faut courir par moment pour ne pas rester derrière. Et elle court quand il le faut. Les yeux presque fermés du fait des rides, à ses pieds deux chaussures non uniformes et une spatule en main, de temps en temps, elle lève ses deux bras vers le ciel comme si elle a la certitude d’être entendue par Dieu. Et à l’aide du résidus d’énergie qui lui reste, elle crie « Tond Yaa min (Nous sommes fatigués) !».
Un message transmis grâce à un Haut-parleur demande aux manifestants de se diriger vers le Haut-commissariat.
La province du Loroum est en proie aux attaques terroristes depuis plus de 4 ans. Les différentes communes de la province, quatre au total, tiennent le coup grâce aux efforts de l’armée burkinabè mais aussi par la contribution des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Qu’est-ce qui est donc à l’origine de cette colère subite ?
En train de réfléchir à cette question, un homme dans la foule, sans que nous ne lui demandons, enlève son bonnet pour nous essuyer le visage submergé par la sueur. Sur ses doigts, plusieurs bagues. Mais aussi des amulettes autour du poignet et du cou. C’est un VDP.
Il accepte de parler au micro de Faso7. Dès l’entame de ses propos, nous comprenons que l’émotion et la tension qui animent cette marche sont l’expression des sentiments d’un peuple qui s’estime abandonné par ses dirigeants. Ayant participé à plusieurs combats contre les terroristes, notre interlocuteur évoque la misère à laquelle ils font face sur le terrain. En savoir plus dans la vidéo.
Tout comme à la gendarmerie, la tension est très forte au Haut-commissariat. Difficile de se frayer un chemin. Nous parvenons néanmoins à rejoindre la devanture du bureau du Haut-Commissaire. « C’est la presse ? Filmez bien et dites au gouvernement que si le Burkina Faso se résume à Ouagadougou, nous allons tous y aller loger », lance un manifestant tenant une pancarte sur laquelle on peut lire « Non au délaissement de notre province ».
Au milieu de la foule, une femme parvient à monter dans le tricycle qui tient lieu de podium. Elle est à moins de deux mètres du Haut-Commissaire qui est entouré par des forces de sécurité. Comme le VDP qui s’est exprimé au micro de Faso7, elle exige également la sécurisation de sa province, le Loroum.
Ses paroles et ses gestes répétés à l’endroit du Haut-commissaire galvanisent les autres manifestants et font monter le mercure.
La tension monte
En un bloc, les manifestants font quelques pas de plus vers l’autorité. Il devient difficile de les contenir. Au lieu d’être lu, le message est rapidement remis au Haut-commissaire qui s’éclipse aussitôt. Nous sommes également exfiltrés par l’arrière du bâtiment grâce aux éléments de la Police nationale.
Après cette étape, la foule se remobilise. Direction, la Place de la Nation du Loroum où se tient un meeting. Tour à tour, les différentes structures organisatrices de la manifestation passent pour livrer leur message.
Le contenu est presque le même. Ils sont sortis d’abord pour une chose : Exiger de l’autorité un soutien afin de secourir leurs VDP abandonnés sur le champ de bataille. Mais de quelle bataille parlent-ils ? La réponse en vidéo avec Yabao Amidou, président du mouvement pour un Loroum libre et émergent.
En plus du soutien militaire exigé pour aller chercher les VDP blessés, les ressortissants de la province du Loroum demandent au gouvernement la création d’un camp militaire dans la province. « Nous demandons la sécurisation intégrale de notre province car le Loroum fait aussi partie du Burkina Faso. Ce que nous demandons au gouvernement, c’est l’installation d’un camp militaire dans la province du Loroum », déclare Amadé Kaboné, membre de l’association pour le développement du Loroum.
Au Burkina Faso, les attaques terroristes ont obligé plus de 1 200 000 personnes à abandonner leurs localités pour devenir des personnes déplacées internes. Selon Amadé Kaboné, la province du Loroum à elle seule compte plus de 35 000 personnes déplacées internes. Ces personnes ont besoin d’être nourries. « Nous voulons qu’on donne des vivres aux déplacés et que le gouvernement prenne des décisions fortes afin qu’ils puissent retourner chez eux », poursuit-il.
L’autre exigence des manifestations est la dotation en armement des volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Combien sont-ils aujourd’hui à contribuer à la sécurisation ? Comment sont-ils équipés ? En voulant apporter des précisions sur ces questions, le ministre de la sécurité avait laissé entendre qu’il y a des VDP dont l’Etat ignorait l’existence. Cette pilule a encore du mal à passer dans le Loroum.
Pour les Loroumois, il n’y a aucun doute, s’ils sont encore en vie, c’est grâce aux VDP mais surtout grâce à Ladji Yôro, le chef VDP.
Il s’agit aussi de celui qui a fait une vidéo dans la brousse pour dénoncer leur sous équipement. La légende de ce monsieur est racontée dans toute la province et vouloir le discréditer, c’est s’attirer des foudres. Que pensent les organisateurs de la marche de ce monsieur et des VDP en général ? La réponse en vidéo!
A Titao, la marche des habitants du Loroum est chargée d’émotions. Des femmes, bagages sur la tête, simulent les attaques terroristes. Elles crient, elles appellent au secours. Les cris fendent les cœurs. Un homme âgé, adossé à un arbre ne se rend pas compte qu’il a la joue trempée.
Une femme appelée à intervenir en tant que représentante des déplacées, fond en larmes après quelques phrases sous le soleil. Ses enfants, quatre au total, ont tous été tués. Dans la foule, nous reconnaissons la femme qui a voulu en découdre avec le haut-commissaire. Elle accepte de parler au micro de Faso7. Suivez la vidéo!
Etant à la Place de la Nation, on nous rapporte que le haut-commissariat a été saccagé après notre départ. Avant d’aller constater les dégâts et quitter Titao, une question très importante mérite d’être répondue.
Que feront les populations du Loroum si rien n’est fait après leur manifestation ? Réponse en vidéo de Yabao Amidou, visiblement très écouté par les manifestants.
De retour au Haut-commissariat, le constat n’est pas reluisant. Les manifestants ont presque arraché la porte principale, vandalisé les climatiseurs et fait tomber les motos garées dans un couloir. Les jeunes rencontrés sur les lieux avec le sourire nous disent : « C’est parce qu’il est sous la climatisation qu’il ne réfléchit pas ». Parlent-ils du Haut-commissaire ?
Nous reprenons la route de Ouahigouya. Sur le chemin du retour, le même constat qu’à l’aller. On ne croise uniquement que des militaires en véhicules ou juchés sur des motos.
Il faut dire que le Loroum d’autrefois où on empruntait un chemin avec la certitude de croiser une connaissance qui nous donne de l’eau à boire ou du lait est loin derrière nous. Le Burkina Faso est en guerre. En tout cas, les populations du Loroum en sont convaincues.
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Amadou ZEBA
Faso7