Féenose : «C’est rare que nous qui sommes de la diaspora, soyons invités à des évènements»


Kayiri Sylvie Toé dit Féenose, artiste chanteuse burkinabè a été reçue dans les locaux de Faso7 le 20 janvier 2022 pour un entretien concernant sa carrière musicale et sur sa nouvelle vie entrepreneuriale. Interview !


Faso7 : Dites-nous déjà, pourquoi le pseudonyme Féenose ? Quelle est sa signification ?
Féenose : En fait, ça vient d’un délire, de pas mal d’imagination. Au départ, c’était au lycée, le premier camarade avec lequel j’ai commencé à rapper m’appelait Féenose en me disant que j’étais un phénomène. Mais, ça m’inspirais pas trop et comme déjà au lycée les gens s’étaient habitués à m’appeler Féenose, je me suis dite que je vais garder cette intonation et m’approprier vraiment de ça.
J’ai cogité pendant de longs mois et un jour, je me suis levée en me disant, mais l’intonation ‘Féenose’, il y a la fée qui ressort dedans et alors, je crois en une bonne fée qui me guide pour faire de moi un bon phénomène d’où le N-O qui ressort dans le phénomène et maintenant le S-E, c’est pour donner une intonation féminine. Donc, c’est comme ça que je me suis réappropriée ça, avec cette écriture qu’on voit Féenose. F-E-E-N-O-S-E. Voilà !
Faso7 : Pourquoi la musique ? Quel a été le déclic ?
Féenose : La musique parce que, j’ai été bercée depuis l’enfance dans un milieu musical. Mes parents ne sont pas des musiciens, mais ce sont des amateurs de musique. Donc, c’était déjà une prédisposition et ça m’est paru comme ça, de manière naturelle que je ne peux pas expliquer, voilà quoi (Rires).
Lire ? Musique : Féenose sort un maxi intitulé « Take my hand »
Faso7 : Que faites-vous à part la musique ?
Féenose : A part la musique, je suis établie en Allemagne, plus précisément à Berlin. Je travaille dans la santé, plus précisément au niveau de l’aide des enfants en difficulté, des enfants handicapés. Voilà ce côté humain de mon travail.
Faso7 : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le domaine de la musique ?
Féenose : Dans la musique déjà, il y a un réel problème de promotion. Je pense que tout artiste dira la même chose parce qu’une chose est de créer l’œuvre et déjà la création, ça prend beaucoup de temps. La création, c’est vraiment versatile parce que l’inspiration, on ne peut pas la commander. Donc, quand il y a ce travail qui est déjà fait, maintenant l’étape de la promotion, c’est l’étape qui regorge beaucoup de budget.
Pour faire diffuser, il faut un budget. Il faut de la communication. Tout ça, c’est super cher et ça fait qu’on est épuisé à la fin de la production parce qu’on a injecté de l’argent et pour ce côté promotion où on est déjà affaibli financièrement, ça fait que malheureusement nous sommes nombreux à être confrontés à ce problème de manque financier à pouvoir investir dans la promotion. Alors qu’une œuvre qui n’a pas de promo, n’a pas de visibilité et passe inaperçue.
Faso7 : Existe-t-il un clanisme dans le showbiz Burkinabè ?
Féenose : Je pense que partout dans le monde où nous sommes, il y a toujours des clans quelque part, particulièrement quand on parle du Burkina Faso. Oui, il y a des clans. Déjà, on est plusieurs de la diaspora à avoir remarqué que du fait que nous sommes de la diaspora, on nous catégorise comme étant peut-être les mieux nantis et du coup, quand on vient ici, on a du mal à se faire accepter, surtout par exemple les scènes de concert.
C’est rare que nous qui sommes de la diaspora, soyons invités à des évènements ici. Donc, ça fait déjà que là où on est, n’est pas notre pays, on est déjà en difficulté et quand on explique aux gens, ils ont du mal à le croire et on vient dans notre pays et on a encore des difficultés.
Donc, ça fait qu’au lieu d’être gagnant comme ils le voient, nous sommes mis en difficulté et en plus du fait qu’ici on croit qu’on baigne dans l’argent. Partout où tu passes, on va t’exiger, « non mais tu as des euros, allez faut donner ; faut donner ». Alors que ce n’est pas du tout simple. Et pour encore repartir dans le clanisme comme vous le dites, il y a des personnes, si tu n’es pas en connexion avec elles, tu n’as pas d’autres possibilités d’atteindre certaines scènes ou certaines occasions.



Faso7 : Vous avez également fait sortir votre maxi ’’Take my hand’’. Pourquoi un maxi et non un album ?
Féenose : ‘’Take my hand’’, c’est un maxi de 3 titres. J’ai opté maintenant de faire un maxi au lieu d’un album parce que j’ai trois albums à mon actif et chaque album a une dizaine de titres. Mais j’ai remarqué qu’il y a des fois quand je prenais un titre donné d’un album, quand je le fais écouter, on me dit « Ha, mais tu as fait sortir de la nouveauté ? » Je dis non, c’est un ancien titre. Et là, je me suis rendue compte que le fait qu’on maximise autant de titres dans un album, l’auditeur n’a pas le temps de les découvrir tous.
Ce que l’auditeur découvre, c’est ce qu’on a eu le temps de faire la promotion ou de clipper. Après, tout le reste, ce sont des messages qui meurent et je trouve ça vraiment dommage. Là, je suis venue avec cette approche-là, de faire un maxi avec 3 titres diversifiés pour voir l’impact que ça va avoir.
Aussi, par cela, j’ai aussi opté de ne pas d’abord le mettre, par exemple, sur les réseaux de téléchargement digital, parce que j’ai fait ça pour tous mes autres albums et je vous assure que parfois, les frais que ça demande après une année, tu n’as pas de quoi couvrir certains frais. Ça veut dire que c’est au désavantage de l’artiste.
Ça nous fait de la visibilité parce que les gens peuvent écouter par exemple sur iTunes ou YouTube mais dans le concret, financièrement parlant, l’artiste est perdant dans tout cela. Et voilà, ce sont des nouvelles visions comme ça, accompagnées de la structure Kayiri Record pour révolutionner un peu tout ça et voir ce qu’on peut apporter de nouveau dans le milieu du show-biz.
Faso7 : Dites-nous plus sur ce maxi…
Féenose : Déjà, si on prend le baptême titre ‘’Take my hand’’ (prend ma main), c’est une invitation à l’union, une invitation au mariage, une invitation à célébrer l’amour. Je pense que c’est un message qui va faire beaucoup de bien à beaucoup de personnes parce que je raconte des histoires qui sont vécues et je suis sûre que beaucoup de gens vont se retrouver dans le texte. C’est amener les gens à avoir ce brin d’espoir et à se dire que tout est possible en amour quand on laisse le divin faire les choses.
Le titre Mon amour par exemple, c’est une remise en question où je dis simplement qu’« il ne faut pas forcer les choses, il faut laisser faire les choses ». Quand une personne ne te mérite pas, il faut te placer à un niveau où Dieu t’a permis d’être et ne pas se rabaisser pour quémander de l’amour parce que le fait de faire cela, ce n’est pas du mérite. Donc, c’est tout simplement pour dire que l’amour vient au temps opportun, au bon moment, quand on fait confiance.
Et le titre Snobe, c’est un titre vraiment Rap où il y a des frustrations qui ressortent et en gros, c’est pour dire à une personne, de la manière dont tu te comportes, la réponse que tu as parfois est le reflet de ton comportement. Pour dire donc si tu snobes quelqu’un, la personne aussi te répondra de cette manière.
C’est à peu près, comment dirais-je, ce sont trois types de messages différents, mais qui sont dans le temps réel, de l’instant présent où l’on vit.
«On a très peu de producteurs et on a très peu d’investisseurs»
Faso7 : Quelles sont vos attendes avec ce nouveau maxi ?
Féenose : Mes attentes sont que le public s’approprie de ces trois belles chansons que je trouve à mon avis, sympathiques. Après, chacun à son jugement et à chacun de faire son approche.
Faso7 : Vous venez de mettre en place votre entreprise Kayiri Record SARL, quel est l’objectif de cette entreprise ?
Féenose : Kayiri Record est dans l’art avec un grand A. C’est-à-dire autant dans la production d’artistes, dans l’organisation évènementielle de spectacles, dans la valorisation par exemple de l’art, que ce soit par la peinture, par la sculpture, par l’expression du dessin. En fait, tout ce qui englobe l’art avec grand A.
C’est une structure qui donne l’expression à l’artiste, aux artisanats et le coté rêveur au fait. En plus de mettre l’humain au centre, le respect mutuel des uns aux autres. C’est en fait une manière de révolutionner un peu le show-biz parce que le show-biz il est vraiment chaud, mais on peut dire qu’on peut faire le show-biz en étant respectueux, en étant saint dans la relation des uns et des aux autres. C’est un peu cet esprit que Kayiri record sous-entend amener dans l’univers.
Faso7 : Est-ce à dire que Féenose abandonne le micro ?
Féenose : Heu ! Pas totalement. Justement, c’est pour que les gens ne pensent pas j’abandonne le micro que j’ai profité de cette occasion pour lancer le maxi ‘’Take my hand’’, histoire de montrer que je suis là, parce que la musique, c’est la passion. C’est une passion qui restera à vie. Mais effectivement, j’ai cette envie de me retirer tout doucement et d’être plutôt en arrière-plan, à regarder ce que je peux apporter sur d’autres plans, booster d’autres artistes, m’occuper de la structure.
Faso7 : Il est souvent dit que les femmes dans le domaine musical sont exposées aux propositions indécentes. Avez-vous déjà vécue pareille situation ?
Féenose : Oui ! Ça, je ne vais pas faire à demi-mot. Bien-sûr, les femmes sont souvent beaucoup exposées à cela. C’est l’une des raisons aussi pour laquelle il me tenait à cœur de créer ma propre structure et c’est pour cela aussi que j’ai mis le coté production là-dedans.
Je veux aussi aider des sœurs qui sont talentueuses à pouvoir éblouir leur art de manière saine, d’où le mot ‘’saint’’ que j’emploie dans le terme de ce qui me tient à cœur. Ce mot ‘’saint’’, ça faisait allusion justement aux propositions indécentes qui sont souvent faites dans ce milieu, pas que seulement dans ce milieu, mais comme on parle du show-biz…



Faso7 : Souvent, des acteurs même du show-biz estiment que la musique burkinabè ne s’exporte pas. Avez-vous le même sentiment ?
Féenose : Vu que je ne vie plus au Burkina Faso, ça va aller dans la 16e année, mais je reste aux aguets. Je regarde l’actualité. Actuellement, je trouve qu’il y a pas mal de jeunes artistes qui sont venus sur le plan musical qui, à mon avis, selon la répercussion que je ressens du public et dans les réseaux sociaux, font tapage.
Je pense qu’ils peuvent aussi se vendre dans la sous-région et même à l’extérieur. Le tout, je pense que c’est toujours tourner autour de la promotion et du financement parce que c’est ça le gros problème ici au Burkina Faso. On a très peu de producteurs et on a très peu d’investisseurs, comment dirai-je, des mécènes qui investissent dans la culture particulièrement au niveau des artistes pour soutenir certains à avoir une bonne visibilité.
Si par exemple les mécènes sont convaincus que les artistes sont des ambassadeurs de la culture burkinabè, mais il ne faut pas aussi se sectionner au côté traditionnel, ce que je remarque parfois. C’est vrai qu’il y a eu un regain pour s’approprier la culture, mais parfois, j’ai l’impression qu’on a envie de dire à tous ceux qui font de la musique moderne, que ce n’est pas de la musique burkinabè. Là, je me dis non ! La musique, elle doit être ouverte, sans barrière. Ceux qui ont ce talent de pouvoir mettre en avant notre musique traditionnelle, c’est super ! Mais ceux qui ne savent pas le faire, il ne faut pas les brimer, s’ils ont plus le talent de faire du RNB ou de la Soul. Non, voilà ! La musique est ouverte à tous.
Faso7 : Que proposez-vous pour plus de rayonnement de la musique burkinabè ?
Féenose : On va tourner encore autour de la même chose. Pour moi, pour plus de rayonnement, il faut qu’il y ait plus de mécènes qui investissent dans la promotion de la musique burkinabè parce que si on a de bons promoteurs, vous savez parfois, il y a de la musique qui n’est pas forcément bonne, mais à force qu’on la joue, parce qu’on a mit, une certaine somme d’argent pour faire la promo, on finit par adopter cette musique sans même s’en rendre compte.
Ce sont les effets de la promotion et c’est ce qui manque beaucoup ici. C’est aussi pousser les gens à consommer plus de musique authentique burkinabè, à soutenir les artistes. C’est vrai qu’on n’arrête pas de le dire et certains disent « Bon ben ! Voilà si les artistes ne font pas de la bonne musique, nous on va écouter la musique d’ailleurs et tout ». Mais non ! On n’a quelques artistes qui font de la bonne musique. C’est ce que je peux dire.
Investir dans la musique, soutenir les artistes, et du côté des artistes aussi, qu’ils bossent bien parce que des fois, j’entends aussi des œuvres où je sens que la personne qui a enregistré ces artistes aurait dû avoir l’honnêteté de dire non. Allez travailler encore avant de sortir ce projet. Voilà ce que je peux dire.
Faso7 : Quel est le meilleur souvenir que tu as de l’un(e) de tes fans ?
Féenose : J’ai pas mal de bons souvenirs. Je vais prendre deux exemples de bons souvenirs. Le plus récent, c’est une qui a quitté Koudougou pour venir participer au concert du samedi. Ça, j’ai vraiment trouvé émouvant. Une autre qui date d’il y a au moins huit à dix ans. Elle m’a découverte sur la toile, sur les réseaux sociaux. Elle a écouté mon premier album Daho, le titre baptême de cet album et ensuite, elle a cherché à me contacter. Quand elle a pu m’écrire, elle m’a dit qu’en fait, je lui faisais penser à Christy Chapman, que mes chansons ont réussi à la calmer des douleurs qu’elle vivait et un jour, je reçois une lettre. Elle m’a envoyé 300 euros en chèque, me disant voilà, c’est pour t’aider.
Face au micro7 : Quand Féenose danse le warba pour ses »esclaves » mossis
Faso7 : Et le pire ?
Féenose : Les mauvais souvenirs, j’essaie d’effacer le plus vite possible. Mais mon mauvais souvenir dans la musique, c’est souvent avec des artistes. Vous collaborez, vous travaillez et puis, à un moment donné, ça devient une prise de tête. Des fois, ça devient des coups bas, ou tu ne comprends pas. Mais, c’est ça aussi le milieu quoi !
Faso7- Le Burkina vit des moments difficiles avec le terrorisme, quel est votre message ?
Féenose : C’est vraiment difficile. C’est insoutenable parfois de regarder l’actualité et de penser à tous ces milliers de personnes qui sont parties en laissant tout, en l’espace de quelques années. C’est atroce. Donc vraiment, je ne peux avoir qu’un message, celui de demander au bon Dieu de nous venir en aide parce que parfois, on voit que le gouvernement tire le diable par la queue. Je pense que le diable n’a plus de queue tellement on a cherché toutes les solutions possibles.
Donc là, on s’en remet vraiment à Dieu, de nous donner vraiment la guidance et nous apporter la solution miracle pour porter cette paix au pays qu’on recherche, pour qu’enfin, des innocentes personnes n’aient plus à payer de leur vie parce que c’est vraiment douloureux. Paix aux âmes des personnes qui ont sacrifiées leur vie pour que nous puissions être là encore aujourd’hui à faire cette interview.
Christiane YOUNGA (Stagiaire)
Faso7