Burkina Faso: Malade et déplacé interne, Hamado souffre le martyre


Hamado est originaire de Kelbo. Installé à Pazani dans la ville de Ouagadougou, il a dû fuir sa localité du fait du terrorisme. Mais, en plus de sa condition de Personne déplacée interne, Hamado se bat contre un autre mal. Une hydronéphrose droite douloureuse. Cette maladie qui attaque les reins l’empêche de travailler afin de subvenir aux besoins de sa famille. Rencontré par Faso7, Hamado explique son calvaire, depuis le début de sa maladie jusqu’à ce jour.


C’est un homme qui semble bien portant physiquement. Sa démarche n’exprime aucune difficulté, mais cette apparence cache une grande douleur. A notre arrivée chez Hamado le 15 mars 2022, nous sommes reçu comme des sauveurs. L’enthousiasme se lisait sur son visage. Selon ses dires, nous sommes les premiers à lui accorder une telle attention car personne ne s’est souciée de lui et de sa famille, encore moins de sa santé.
Avec le visage rempli d’émotion, Hamado peine à parler. Difficile pour lui de dévoiler sa maladie à une personne inconnue. Afin d’établir cette confiance, nous abordons plusieurs sujets d’actualité : l’éducation des enfants, la poussière dans la ville de Ouagadougou et la cherté des denrées.



Après quelques minutes, Hamado a la langue qui se délie. Il est prêt à s’ouvrir. Sans tabou. Nous avons même le droit de consulter tous les dossiers d’examen et de soins. Le mal dont souffre Hamado a débuté depuis son enfance, narre-t-il, le regard fuyant notre caméra.
« Les médecins ont dit qu’il y avait des ‘cailloux’ dans mon ventre et ces ‘cailloux’ ont détruit un de mes reins et c’est pour cela ils l’ont enlevé. Ils ont insisté pour que je revienne à tout moment pour les contrôles (deux, trois ou six mois), afin de suivre l’autre rein qui restait », relate Hamado, avec parfois des phases de silence.
Hamado souffre d’une hydronéphrose droite douloureuse. Cette maladie affecte le système urinaire et entraîne une rétention des urines.
Qu’est-ce que l’hydronéphrose ?
« L’hydronéphrose est une distension ou un agrandissement des cavités excrétrices du rein causée par une accumulation anormale des urines dans ces cavités.
Les causes sont multiples. Il s’agit, entre autres, des calculs urinaires du rein ou de l’uretère, de la vessie. Les tumeurs dont les tumeurs de vessie, de la prostate, de l’uretère, de l’urètre. Les malformations de l’appareil urinaire. Les infections notamment les séquelles de bilharziose, de la tuberculose, les sténoses post infectieux de l’urètre.
Il y a également les traumatismes, sténose post traumatique de l’urètre ou de l’uretère.
On peut guérir de l’hydronéphrose qui n’est pas une maladie mais plutôt une conséquence ou une complication de la vraie maladie. Pour traiter l’hydronéphrose il suffit de rechercher la cause et la traiter.
Le traitement est très souvent chirurgical, soit en drainant les urines en urgence par une néphrostomie (drainage des cavités par ponction directe du rein et mise en place d’un drain), une cystostomie (drainage des urines par la mise en place d’une sonde directement dans la vessie à travers le bas ventre), une urétérostomie (consiste à aboucher l’uretère directement à la peau pour laisser couler les urines), ou la mise en place d’une onde vésicale trans urétrale. Soit de façon programmée en traitant la cause.
Les conséquences de la maladie sur le patient : c’est la douleur, la destruction complète du rein, parfois l’insuffisance rénale si l’affection survient sur un rein unique ou sur les deux reins, voire le décès si le patient n’est pas pris en charge« .
Dr Panba Sama, chirurgien urologue andrologue au CHR de Ziniaré.
Assis en groupe dans la cour, deux des cinq enfants d’Hamado écoutent attentivement leur père. Par moment, quelques grimaces surgissent. Comprennent-ils la souffrance de leur père ? Tout porte à croire que oui. Le plus grand, toujours les coins de la bouche tachetés des restes de nourriture du matin, fixe son père. Son regard est terne.
D’un autre côté l’épouse de la famille s’attèle à la cuisine. Il faut bien trouver quelque chose à manger pour ceux qui sont à la maison et pour les élèves qui rentreront de l’école. Midi n’est plus loin. De temps à autre, elle retourne son regard vers nous.
Malgré sa maladie, Hamado tient à assumer son rôle de chef de famille. Dans cette veine, le chemin de l’aventure a été prospecté par celui-ci. « Je travaillais dans les mines et c’est en Guinée que je suis tombé gravement malade et on m’a ramené au village », explique-t-il, sans pour autant nous donner le temps exact de son aventure. C’est à la suite de cet épisode qu’Hamado n’a plus eu le contrôle sur les évènements de sa vie.
En son temps, en 2016, le père de famille de 5 enfants est pris en charge par ses frères qui l’avaient fait venir à Ouagadougou.
« Après avoir passé les radios et les examens, les médecins nous ont fait savoir qu’ils vont m’opérer, mais d’aller à Tanghin dans un centre de santé. Après l’opération, j’ai passé trois mois à Ouaga avant de repartir au village. Je revenais à Ouaga pour les examens de contrôle », s’exprime-t-il.
Mais après trois ans, il avait toujours mal au flanc. Il lui a fallu repartir voir les médecins, poursuit notre interlocuteur. Il était loin de savoir que sa maladie s’est aggravée. A cette étape de nos échanges, Hamado marque une pause. Les gesticulations se taisent. En se mordillant la lèvre supérieure, il se lâche enfin : « les docteurs m’ont fait savoir que l’autre rein est aussi malade et on m’a mis une sonde. Mais depuis ces jours jusqu’à aujourd’hui, la sonde est là et j’ai toujours mal », énonce-t-il, très désespéré.
Dès lors, une autre difficulté s’est invitée dans la vie de Hamado. Il fallait à tout prix délier le cordon de la bourse pour rester en vie. Vaille que vaille. « Depuis qu’ils ont commencé à me placer la sonde, je dépensais 20 000F CFA, 25 000 FCFA, 30 000 FCFA. Mais de nos jours, on paye la sonde à 40 000 FCFA et cela pour chaque rendez-vous. Pour la placer, je dois payer 100 000 F CFA et pour enlever la sonde, je dois aussi payer 40 000 F CFA», dit-il.
Durant cette période, Hamado, la quarantaine bien sonnée, résidait dans son Kelbo natal avec toute sa famille, mais faisait des allers et retours à Ouagadougou pour ses soins. Même si tout n’était pas rose, les économies de la famille aidaient le malade à se prendre en charge tant bien que mal. Hamado s’adonnait au commerce, aidé par sa femme. Mais les choses se sont vite dégradées.
Le 7 juin 2019, Hamado a été obligé de fuir ses terres. Des hommes armés menaçaient. La peur avait gagné tous les villageois. Il fallait fuir ou mourir. Hamado a décidé de faire le premier choix avec sa famille. « Nous pouvons aller ailleurs, mais on a décidé de venir à Ouagadougou à cause des soins de mon mari », narre Adjaratou, la compagne de Hamado.
La situation de son mari l’affecte et elle se souvient de leur vie au village. « Quand on était au village, avec le petit commerce qu’on faisait, on arrivait à avoir de quoi payer les soins de mon mari à Ouagadougou. Mais depuis qu’on est venu ici, on n’a plus les moyens pour quoi que ce soit. C’est du café qu’il vend au bord de la voie, afin qu’on puisse se nourrir », laisse-t-elle entendre.
Atteint d’une hydronéphrose, et avec des moyens matériels qui s’amenuisent, Hamado est désormais une Personne déplacée interne (PDI) avec six personnes à sa charge. Une femme et cinq enfants. Le calvaire s’accentue. Sans terres cultivables, sans fonds de commerce, Hamado doit reprendre tout à zéro.
Mais l’homme a néanmoins bénéficié d’une aide de ses frères. Une maison dans la zone non-lotie de Pazani lui a été offerte par ces derniers. Une épine de moins même si la famille n’y a pas encore aménagé. Des travaux doivent s’y effectuer encore. Mais le reste, le quadragénaire doit user de ses dix doigts pour faire vivre sa famille.
De débrouillard, vendeur de café, Hamado est devenu un mendiant par la force des choses. Alors qu’il narre ses conditions de vie, notre interlocuteur, clignant fortement des yeux, faisait tout son possible pour ravaler ses gouttes de larmes. Sa voix se noue. Nous l’écoutons. Il nous fixe. Un bout de silence. Il rabaisse son regard. L’homme force les mots. Le visage fermé, Hamado, assis sur un tabouret, le bas du pantalon relevé, feuillette sans regarder la chemise contenant ses examens et ordonnances. L’homme semble abattu. Désarçonné !
… chassé
« Actuellement on a épuisé tous nos moyens, et à l’approche du rendez-vous, je me promène pour mendier afin de récolter la somme pour payer le sonde ainsi que son placement. Souvent, je n’arrive pas réunir la somme. Quand j’arrive, je fais savoir aux docteurs que je n’ai pas pu récolter la somme demandée et je leur demande de diminuer la somme. Mais ce n’est pas à tout moment qu’ils acceptent diminuer », raconte-t-il désemparé.
Pour survivre, de porte en porte, ce malade a contacté certains hommes politiques par des appels téléphoniques et des messages vocaux, sans gain de cause. « J’ai appelé (un homme politique, ndlr), il m’a dit de faire un audio WhatsApp. Je lui ai envoyé le message vocal. Il a vu et il n’a pas réagi. J’ai même été chez un homme riche dans notre quartier, mais il m’a chassé. Il m’a dit de quitter chez lui. Il a dit que c’est comme ça on fait et on vient voler chez eux », relate Hamado avec la gorge nouée.
Mais l’envie de vivre est forte chez Hamado. Il a poursuivi ses recherches de bienfaiteurs dans des associations telles la Croix-Rouge Burkinabè et l’action sociale.



« A mon arrivée ici, je suis allé demander de l’aide au niveau de la Croix rouge sise au quartier Somgandé. Elle m’a dit qu’elle peut m’aider mais c’est juste pour une fois. Qu’elle ne vient pas en aide aux maladies incurables, mais vu que je suis un déplacé interne, elle va m’aider une fois. Après je suis allé à l’action sociale de Tampouy, là-bas les agents m’ont donné un papier pour aller à l’action sociale sise au marché de Boins-yaaré. Arrivé là-bas, ils m’ont demandé le coût des soins et ils m’ont dit qu’ils peuvent m’aider juste pour deux soins donc pour 6 mois.
En ce moment, le médecin m’avait demandé de faire quatre soins dont le coût s’élevait à plus de 600 000 FCFA et l’action sociale a pris en charge la moitié du prix donc le prix de deux soins et m’ont dit de prendre en charge l’autre moitié. Quand l’aide est finie, je ne suis plus reparti vu que c’était juste pour deux soins qu’ils pouvaient m’aider », raconte-t-il.
Hamadou, personne déplacée interne
Hamado connait faire plusieurs activités manuelles et peut s’en sortir. Malheureusement son état de santé ne lui permet pas de travailler. « Actuellement je ne reçois pas d’aide venant d’ailleurs. Je sais construire, je sais faire la menuiserie aussi, mais avec la maladie je ne peux plus faire tous ces travaux, donc je vends du café au bord de la voie et ce que je gagne sert juste à nourrir la famille, sinon je n’ai pas une autre source de revenus», déplore-t-il.
En janvier 2022, Hamado a pu changer la sonde et un rendez-vous lui a été donné dans six mois. « Les médecins m’avaient dit que je vais porter la sonde juste pour un an, mais après cette année, ils m’ont dit qu’il n’y avait pas d’amélioration et que je dois continuer à porter la sonde jusqu’à ce qu’ils trouvent une autre solution pour moi », dit-il.
Tout au long de nos échanges, dame Adjarata, avec son voile qui lui couvre la tête était dans la cuisine. Elle pile ses légumes et pousse son bois de chauffe. Invitée à participer à nos échanges, elle ne s’est pas fait prier. Elle se saisit d’un petit tabouret disponible et s’installe auprès de son mari.
« Notre souci actuellement est qu’on n’a pas de quoi se nourrir, surtout qu’il n’y a pas la santé, on ne peut pas se battre comme les autres personnes, donc on se confie à Dieu et aux bonnes volontés », explique Adjarata dans un désarroi total. Pendant qu’elle se confiait, Hamado tête baissée, donnait dos à sa femme.



Dans cette cour composée d’une maison d’une quinzaine de tôles et d’une petite clôture sans portail, la famille d’Hamado est en location. « Grace à Dieu, son petit frère a pu avoir un non- loti et nous irons tous habiter là-bas malgré la petitesse de la cour », explique dame Adjarata, qui, de temps à autre, se retourne vers son mari qui garde toujours la tête baissée. Le couple est soudé. Il le faut pour le bien-être de leurs cinq enfants dont trois sont toujours sur les bancs.
Rasmata, élève en Cours moyen 2e année (CM2), est la plus préoccupée par la situation de son père. Elle n’a qu’une seule envie, repartir à Kelbo. Rencontrée en mi-février 2022 dans son école lors de la récréation, la jeune fille était en larmes et a relaté sa souffrance. Nous y étions pour un reportage sur l’éducation de qualité. A cet effet, nous avions souhaité écouter des élèves déplacés internes. C’est lors de cette occasion que la situation du père de Rasmata nous a été contée.
Lire ? Burkina Faso : Mamounata, modèle d’une éducation résiliente
« Je ne me sens pas bien à Ouaga. J’ai des difficultés en matière de repas et d’habits », avait lancé Rasmata, insistant sur sa volonté de repartir au village, persuadée que Kelbo est la solution.
De ces cinq enfants, trois sont scolarisés. Adjarata, l’épouse de Hamado demande aux bonnes volontés de les aider avec la scolarisation de leurs enfants et aussi pour que son mari recouvre la santé afin de se remettre sur pied et se battre pour l’avenir de sa famille.
Vidéo – Hamado demande de l’aide
Alice Suglimani THIOMBIANO
Faso7