Mohamed Nana ou la hargne de vaincre un handicap

Le handicap peut être un frein à l’inclusion de celui qui le porte, notamment sur le plan socio-professionnel. Ceci est une réalité tant au Burkina Faso que dans d’autres pays du monde. Si certaines personnes à mobilité réduite préfèrent se réfugier dans l’assistanat, d’autres par contre ont fait le choix de se battre pour se faire une place au soleil. Mohammed Nana est l’une de ces personnes. Âgé de 23 ans, il s’essaye à la modification de moyens de transport au bénéfice de personnes à mobilité réduite. Dans l’après-midi du samedi 18 février 2023, une équipe de Faso7 est allée à la rencontre de ce jeune afin d’en savoir plus sur lui et sa formation au Centre national des personnes handicapées à Ouagadougou.

En 2004, Mohamed Nana était parmi les jeunes burkinabè qui faisaient leurs premiers pas dans la cour de la maternelle au Centre d’Éducation et de Formation Intégrée des Sourds et Entendant Benaja (CEFISE/BENAJA). Au cours de son cursus, il a fait l’objet de moqueries de la part de certains de ses camarades d’école à cause de sa paraplégie, une paralysie qui a atteint son membre inférieur gauche et ses organes pelviens.

« La paralysie de mon pied gauche, l’urine et les selles étaient mon problème. En plus j’ai une plaie aux fesses qui guérit et qui recommence. Donc, avec les moqueries aussi, c’était pas du tout facile. Maman dépensait beaucoup trop avec les rééducations et les couches que je portais. J’ai porté des couches pour pouvoir entrer en classe depuis ma petite section jusqu’à ma 4ème », explique le jeune homme les yeux fixés vers l’horizon.

Des rêves, Mohamed Nana en avait comme tout enfant de son âge. Et ce qui lui tenait à cœur était de devenir médecin. Malheureusement, malmené par la maladie et confronté au manque de moyens de ses parents, Mohamed Nana sera obligé de quitter l’école en classe de 4ème courant 2020.

La mère du jeune Mohamed tenant à la réussite de son fils, décide alors d’ouvrir une quincaillerie pour lui en 2021, au quartier Sonré de Ouagadougou. Après une année de gestion, la quincaillerie de Mohamed Nana fait faillite. Plusieurs mois après, la douleur est toujours visible chez le jeune homme. Il s’en veut d’avoir découragé sa mère.

« Comme je suis tombé, ma maman m’a informé qu’il y a un centre où je peux faire une formation en soudure qui va m’arranger. Donc je suis venu me renseigner et j’ai commencé à me former. Ça fait huit mois que je suis dans ça et j’ai presque fini », dit-il en s’afférant à découper un tube de fer.

« Si je m’assois seulement, je porte mes verres, je prends ma pince à souder, ça marche » – ©Faso7

Mohamed Nana suit sa formation en compagnie de 3 autres personnes. L’apprentissage consiste à la modification de vélos, de motos et de voitures, pour les adapter aux personnes à mobilité réduite.

« On travaille en équipe avec mes éléments. Malgré mon handicap, ce n’est pas difficile pour moi. Si je m’assois seulement, je porte mes verres, je prends ma pince à souder, ça marche », assure-t-il.

Pour le moment, Mohammed Nana ne reçoit pas de rémunération. Mais il dit ressentir de la satisfaction lorsque l’équipe arrive à adapter un engin roulant pour une personne handicapée. « Quand on arrive à modifier une moto ou un vélo pour quelqu’un, c’est une vraie fierté pour moi. Je me sens très bien d’avoir fait ce boulot avec mes éléments », nous rassure le jeune homme.

Même s’il n’a pas pu être médecin, Mohammed Nana pense qu’il peut toujours réussir sa vie et la prendre en main. Pour cela, il compte travailler avec ardeur afin de se mettre à son propre compte après son apprentissage. « Si j’arrive à avoir un peu de soutien aussi, ça va accélérer les choses », ajoute-t-il.

Des engins adaptés pour les personnes à mobilité réduite – © Faso7

David Ouédraogo est l’un des chefs d’atelier de Mohammed Nana. Pour lui, la possibilité d’adapter les moyens de transport aux personnes handicapées peut être source d’opportunités d’emplois comme celui de chauffeur, de facteur ou de coursier. Toutefois, il déplore le fait que certaine personnes à mobilité réduite, véhiculés, ne voient pas l’importance de passer le permis de conduire parce qu’ils ne font généralement pas objet de contrôles par la police.

« Par exemple, il y a un handicapé qui, après une soirée arrosée vers l’échangeur de Ouaga 2000, après avoir bien bu, le gars, il s’est levé, il a manœuvré son véhicule et il a fait des dégâts matériels. Heureusement, il n’y a pas eu de blessé. Maintenant, lors du constat, on a vu qu’il n’avait pas de permis. À cause de son handicap, ils ont été indulgents. Mais il a été mis en garde-à-vue et il a payé une amende de 275 000 FCFA », raconte le patron de Mohamed Nana.

« Nous avons des partisans du moindre effort »

Ali Traoré dit Ali Ponré 1er est le vice président du Centre national des personnes handicapées moteurs. Il a fait modifier son véhicule de marque Toyota Yaris 2007 dans l’atelier où se forme Mohammed Nana. Il se déplace désormais aisément avec son véhicule dans les rues de Ouagadougou.

« Pour modifier un véhicule pour une personne handicapée, il faut, dans un premier temps, que ce véhicule soit à vitesse automatique. Là, vous avez deux pédales, l’accélérateur et le frein. Ils (les soudeurs) utilisent des béquilles qu’ils mettent sur l’accélérateur et le frein, ils relient cela avec une tige. Ce qui fait que quand vous tirez, vous accélérez et si vous poussez vous freinez. Donc ça vous permet de n’utiliser que vos mains pour conduire votre véhicule », explique Ali Ponré 1er tout enthousiasmé.

Selon Ali Ponré 1er, une cinquantaine de personnes handicapées moteurs ont pu se former dans divers domaines d’activités artisanales au Centre national des personnes handicapées moteurs. Il déplore le fait que d’autres jeunes handicapés soient en situation de mendicité. Pour lui, la place de ces derniers n’est pas dans la rue.

« Nous avons des partisans du moindre effort. Des gens qui ne veulent rien faire, qui veulent faire des autres, les prisonniers de leur malheur. Ce n’est pas parce que nous sommes des personnes handicapées que nous sommes des nécessiteux et que nous sommes forcément des gens qui ne peuvent rien faire de leur vie. Le handicap, ce n’est pas une fatalité. C’est un défi à relever », poursuit-il.

L’intérieur du véhicule d’Aly Ponré 1er modifié par Mohamed Nana et ses collègues -©Faso7

Le Burkina Faso est confronté à l’insécurité depuis plusieurs années. Afin de soutenir la lutte pour la reconquête du territoire national, le Chef de l’Etat, le Capitaine Ibrahim Traoré, a appelé les Burkinabè à soutenir l’effort de guerre. Pour Ali Ponré 1er tout comme pour Mohamed Nana, les personnes à mobilité réduite peuvent aussi contribuer à cet effort de guerre.

« Déjà, nous avons des membres qui sont allés s’enrôler malgré leur handicap parce qu’ils ont cette hargne de défendre la nation. Nous avons également d’autres personnes, je pense à Solo Dja Kabako avec qui nous avons enregistré des chansons pour galvaniser justement nos troupes qui sont sur le théâtre des opérations. Nous avons aussi contribué avec du savon, des vêtements pour venir en aide aux PDI, les déplacés internes », confie Ali Ponré 1er.

Très concentré sur ses travaux au moment des échanges, Mohamed Nana jette, de temps en temps, des coups d’œil vers nous. Lorsque l’heure de nous dire au revoir est arrivée, le jeune garçon a insisté sur le fait que personne ne doit se sentir incapable, même les personnes qui sont atteintes d’un handicap. « S’ils se disent handicapés, ils perdront espoir », lance-t-il en nous serrant la main et en nous invitant à venir voir ses œuvres dans les mois à venir.

Josué TIENDREBEOGO

Faso7

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page