Serge Bayala : «C’est maintenant qu’on constate qu’on fait la guerre»




Lianhoué Imhotep Bayala, Serge Bayala à l’état civil, secrétaire général de « Deux heures pour nous, deux heures pour Kamita », une organisation de la société civile burkinabè, a été reçu par une équipe de Faso7 le 23 mars 2023 pour un entretien. Celui-ci a concerné, des sujets d’actualité dont le projet de fédération Mali-Burkina Faso, le débat autour de l’enterrement des restes de Thomas Sankara et de ses douze compagnons et l’incendie de son véhicule.
Faso7 : Actuellement, à quel niveau sommes-nous avec le dossier concernant l’incendie de votre véhicule ?
Lianhoué Imhotep Bayala : Le dossier est entre les mains des enquêteurs et de la justice. C’est tout ce que je sais. On dira que le dossier suit son cours, celui de Sankara a suivi son cours et 35 ans après, ça finit par avoir un dénouement. Je ne souhaite pas que le mien connaisse le même palmarès qui vivifie ce que le dossier de Sankara a injustement subi. Nous sommes désormais dans l’indépendance de l’institution judiciaire qui, depuis un certain moment, montre du courage, montre de l’abnégation. J’espère tout simplement bénéficier d’un droit égal à la justice et une accélération de ce dossier.
Faso7 : Est-ce que vous êtes convaincu que ce dossier sera jugé ?
Lianhoué Imhotep Bayala : Oui ! Je le dis parce que je crois qu’on n’est pas dans une autre république bananière où quelqu’un peut être victime de n’importe quel acte de vandalisme, et que notre pays qui a une culture de démocratie et une familiarité des dossiers comme ceux-là se donne le malin plaisir de ne pas donner suite à ce dossier d’incendie criminel. Il faut rappeler que cet incendie est lié à des prises de position politiques et publiques contre le régime de l’exilé du Togo, le très brillant savant noir de l’ère moderne monsieur Damiba, l’homme aux citations inachevées. J’ose espérer bénéficier de façon égale d’un droit à la justice.
C’est important pour la victime directe dont je suis. C’est important pour les victimes indirectes, c’est important pour la société burkinabè et c’est surtout même important pour ceux qui ont posé cet acte afin de contribuer à leur éducation et à les ramener dans l’Etat de droit où ces actes de vandalisme ne sont pas admis.
Vous savez qu’à l’époque, beaucoup de personnes ont dit que c’est un auto incendie prémédité et planifié par moi, orchestré par moi dans le but suprême de me faire voir. Ce serait intéressant que la justice, ne serait-ce que pour ce motif-là, puisse élucider le dossier. C’est elle qui a la capacité, avec les services techniques des enquêteurs de la police judiciaire, de faire le travail.
Ceux qui rient et qui méprisent la volonté de fédération entre le Mali et le Burkina Faso vont se réveiller déçus
Le deuxième élément, c’est qu’on suspecte que je suis tellement un citoyen malhonnête qu’il se peut que j’ai fait cet auto incendie dans le but de fragiliser le pouvoir de Damiba et que j’aurai fait ça en coalition avec un groupe de politiciens qui n’aiment pas Damiba ou qui n’aiment pas le pouvoir. C’est aussi important que, pour ce motif, la vérité soit faite sur ce dossier.
L’autre dernier élément, c’est qu’on me suspecte d’avoir posé cet acte afin de me présenter comme une victime éligible à un visa d’exil politique.
Donc, je pense que pour l’ensemble de ces éléments et pour le besoin des honnêtes citoyens, sincères de savoir ce qu’il s’est passé parce qu’en sachant ce qui m’est arrivé, ça peut mettre à l’abri d’autres personnes qui sont sous menace aujourd’hui. Ça peut mettre à l’abri des gens qui viendront être sous menace demain et ça peut empêcher les bourreaux de perpétuer de tels actes parce qu’en les arrêtant, en les jugeant et en les condamnant, c’est une leçon de pédagogie qu’on envoie aux futurs candidats au banditisme et au vandalisme politique.
Faso7 : Le Burkina Faso et le Mali ont initié un projet pour fédérer leur Etat afin de faire face à la lutte contre le terrorisme. Comment appréciez-vous cette initiative ? Que peut-on attendre des deux Etats sur la question ?
Lianhoué Imhotep Bayala : [Suivez la réponse dans cette vidéo]
Faso7 : Au regard de cette situation sécuritaire que traverse ces deux pays, selon vous, comment doivent-ils mutualiser leurs efforts pour faire face à ce fléau ?
Lianhoué Imhotep Bayala : Je pense déjà que c’est au plan du partage de renseignements. Ceux qui rient et qui méprisent la volonté de fédération entre le Mali et le Burkina Faso vont se réveiller déçus parce qu’il y a des actes concrets et ce ne sont pas des idées populistes. Non ! C’est un vœu de deux peuples, de deux pays qui ont envie d’affronter leurs défis ensemble. Donc, c’est au partage opérationnel du défi de la guerre et le partage opérationnel du défi de la guerre passe par un partage du renseignement, de la ressource technique.
Le Mali, aujourd’hui, grâce au boycott de la coopération avec la France, a ses propres pilotes. Ce ne sont pas des mercenaires hongrois, ce ne sont pas des mercenaires français, ce ne sont pas des mercenaires américains qui pilotent les appareils d’aviation de l’armée de l’air. Alors que ces mercenaires, quand on les prend dans les territoires occidentaux, tout le monde est d’accord parce ce sont des bons mercenaires. Quand ce sont des mercenaires qui ne relèvent pas du bloc occidental, ce sont des mauvais mercenaires. Il faut sortir de ce chantage. Le Mali a désormais une expertise en aviation.
Le Burkina Faso a un territoire et des soldats et une expérience en mobilisation populaire. Il faut partager ces expériences-là. Il faut rapprocher les tactiques de combat. Et je pense que cet élément est aussi central. Il faut effectivement qu’au-delà de tout ce que nous voyons, qu’il ait une fusion au front de nos deux armées dans les 1200 km de partage que nous avons avec le Mali.
Sur le plan économique, nous avons assez de liens. Sur le plan agricole avec le Mali, nous avons assez de défis. Le deuxième élément, ce sont les intérêts maliens-burkinabè. Les intérêts maliens-burkinabè doivent être alimentés pour un point de vue politique à l’international qui est unifié. C’est-à-dire que nous ne devons pas aller sur l’échiquier international, dans les instances internationales avec des points de vue non harmonisés.
Faso7 : Comment trouvez- vous la gestion et la politique du Capitaine Ibrahim Traoré et son gouvernement ? Pourront-ils relever le défi sur la lutte contre le terrorisme ?
Lianhoué Imhotep Bayala : [Suivez la réponse dans cette vidéo]
Faso7 : Concernant l’enterrement des restes de Thomas Sankara et de ses douze compagnons, certaines familles des victimes se sont opposées pour l’inhumation sur le site du mémorial Thomas Sankara. Comment avez-vous trouvé la décision du gouvernement sur cette question ?
Lianhoué Imhotep Bayala : Je trouve que c’est une décision courageuse. C’est une décision d’Etat. C’est une décision qui permet d’honorer et de donner une sépulture digne à un homme d’Etat, un héros. (Thomas) Sankara, en sa qualité de héros burkinabè, africain et mondial, mérite de ne pas errer entre plusieurs tiroirs mais d’avoir la dignité d’une sépulture, être enterré selon nos us et coutumes.
Nous avons aujourd’hui un sentiment d’imperfection par rapport aux circonstances qui sont advenues et qui ont prévalu à son enterrement, c’est ceux de n’avoir pas pu allier les familles à cette inhumation, dans l’unité, parce que c’est dans l’unité que nous avons gagné le défi de la justice même si le défi de la justice internationale reste et que nous continuons de réclamer, on se disait qu’il fallait poser un acte solennel, historique dans l’unité pour l’intérêt.
Il y a eu mille et une tentatives infécondes auprès des familles des victimes
Bien évidemment, les sentiments des familles biologiques qui ont payé le lourd tribut d’avoir perdu un époux, d’avoir perdu un père, d’avoir perdu un frère, c’est une douleur qu’on ne peut pas hiérarchiser comme étant inférieure à celle de ceux qui partagent sa vision du monde. En termes de préséance, personne ne peut pas compétir avec la douleur des familles, des ayants droit directs. Mais aussi, on ne peut pas marginaliser le fait que les hommes et les femmes ont eu leur carrière professionnelle, leur vie totalement brisée, il y a eu des souffrances de part et d’autres, mais qui ne peuvent pas égaler la souffrance des familles et c’est pour cela que nous sommes restés pendant longtemps dans un espoir de dialogue, un dialogue fécond mais qui finalement n’a pas abouti.
Il fallait prendre une décision, elle était très difficile, je l’imagine pour les auteurs parce que jusqu’à la veille, on doutait toujours de la possibilité de le faire parce que toutes les voix ne convergeaient pas. Mais enfin, il fallait le faire, nous avons manqué le pari d’unifier tout le monde autour de cet enterrement. C’est un regret, c’est une sorte d’échec mais souvent, face à l’Histoire, il faut prendre le risque d’être impopulaire et d’être réhabilité par l’avenir.
Faso7 : L’absence de certains membres de la famille Sankara notamment sa femme et ses enfants, n’est-elle pas un coup dur pour la légitimé du mémorial ?
Lianhoué Imhotep Bayala : [Suivez la réponse dans cette vidéo]
Faso7 : Le Mémorial est-il entré en contact avec les familles pour désamorcer la crise ?
Lianhoué Imhotep Bayala : Il faut préciser qu’ici, je ne parle pas en qualité du mémorial parce que je ne suis pas habilité. C’est le secrétariat exécutif duquel je ne fais pas partie qui est habilité à se prononcer. Mais de ce que je sais, en tant membre observateur et en tant que acteur, cette initiative de réhabilitation, c’est que il y a même des lettres qui ont été adressées aux familles dans le but de pouvoir concilier l’opposition, pour ne pas aller diviser face au temps.
Il y a eu mille et une tentatives infécondes auprès des familles des victimes. Je ne dirai pas d’ailleurs toutes les familles parce qu’il ne faut pas les embarquer dans quelques choses qu’elles ne se reconnaissent pas. Il y a des familles dont le choix était ainsi. Donc, il ne faut pas les mettre à l’actif des familles qui pensaient autre chose et qui pensaient que Sankara et ses compagnons méritaient d’être ailleurs. C’est une opinion et elle a droit d’exister.
Lire ➡️ Réinhumation de Thomas Sankara : Le plaidoyer de la famille
On a recherché un consensus. Mais comme toujours dans une recherche de consensus, on n’a pas des points de vue alignés. Il faut à un moment trancher. Je pense qu’il y a eu une bactérie d’initiatives individuelles, d’initiatives même du comité. Je pense même qu’il y en a eu énormément et des personnalités ont été impliquées. On est resté pendant un grand moment très actif pour pouvoir obtenir la cohésion jusqu’à la dernière minute, jusqu’à la veille. On y a cru.
Propos recueillis par Lazard KOLA
Faso7