Burkina Faso : L’herbe de la survie

De la vente d’habit, il a  plongé dans le métier d’herboristerie. Les effets du métier se laissent  percevoir sur ce corps ayant subi les assauts des herbes, des eaux, de la fraîcheur et de la chaleur  de 20 années de pratique. Assis sur sa vieille moto au bord de la route nationale n°4 à Ouagadougou, les yeux enfoncés dans les orbites, il scrute le moindre signe de d’arrêt de potentiels clients en quête de cette alimentation destinée aux animaux.  Suite à un abandon des bancs dès la  classe de 6e, il est entré dans cet univers. Agé de 43 ans et père de 5 enfants, Karim Ilboudo passe ses journées entre les barrages et les  abords de la route n°4 non loin de la pharmacie Saint François d’Assise. Son combat est simple :  trouver de quoi nourrir sa famille sans sombrer dans la fainéantise ou la mendicité. Rencontré le 2 novembre 2021 aux environs de 20h en pleine vente, bout de pain entourant quelques morceaux de viande à la main, il a accepté éclairer les  circonstances dans lesquelles il se procure de l’herbe au profit de sa clientèle.

Faso7 : Comment et où  vous procurez-vous ces herbes à cette période ?

Karim Ilboudo : Pour l’obtention des herbes, c’est nous qui allons les chercher. En fonction des herbes, nous changeons  de site. Nous nous rendons à Loumbila et au-delà pour  chercher les herbes à tiges (le bangsaaga), et à Bangrewéogo pour les herbes à feuille.

Pour les avoir,  ce n’est pas du tout facile. Nous entrons dans l’eau, les épines pour récolter les herbes. Toutes nos mains sont abimées. Ce n’est pas du tout facile pour en avoir. Pour rentrer à Bangrewéogo, il faut payer deux cents (200) francs CFA, mais pour nous, lorsque nous rentrons pour chercher de l’herbe, nous en ramenons aussi pour les hippopotames de Bangrewéogo, c’est ainsi le contrat.

« Nous en ramenons aussi pour les hippopotames de Bangrewéogo, c’est ainsi le contrat »

 Nous rentrons dès 7h et si tu es rapide tu sors à 12h et  tu reviens à 13h  pour  une deuxième fois et tu sors à 16h et 17h. Tout dépend de tes compétences à résister.  

Pour Loumbila, nous allons  avec notre tricycle pour en chercher et nous revenons sans aucune inquiétude. Une fois l’herbe sortie, nous procédons immédiatement à la vente. Il y a des enfants  qui sont sur place qui écoulent les herbes en attendant notre retour. Nous attachons en de petits tas à raison de trois tas à cent (100) francs CFA. Par jour, nous pouvons avoir dix mille (10 000) francs CFA  si ça marche. Mais tu ne peux pas venir et repartir bredouille.

Faso7 : Où trouvez-vous les herbes pendant la saison sèche ?

Karim Ilboudo : A Bangrewéogo, l’eau ne manque jamais. Et tant qu’il y a de l’eau, il y a l’herbe. Dans notre point de vente, à n’importe quel moment, nous vendons de l’herbe fraiche.  Le canal du barrage entrant à Bangrewéogo fait qu’il y a de l’eau durant toute la saison sèche. Cela favorise la poussée des herbes.

« Si j’allais être là à quémander chaque jour, ce  serait énervant » © Faso7

Il arrive des moments où nous ne pouvons pas en avoir assez. Mais manquer complètement  durant cette période sèche, ça jamais. Généralement à  ces moments aussi, les herbes changent car chaque herbe a sa saison. Nous  trouvons  du koolgrebendo, moogtisé, poogyalmana, kièga, koogyamsoum.

Faso7 : Quelles sont vos difficultés ?

Karim Ilboudo : D’abord, il y a des clients qui demandent trop de rabais.

Ensuite, nous sommes victimes de propos injurieux de la part des nantis. Ils nous prennent pour des écervelés qui cherchent de l’herbe. Parce que le client est roi, nous ne disons rien. Sinon lorsque je quitterais dans mon coin et je me doucherais, je pourrais aussi faire mon malin ailleurs mais, c’est simplement par respect.

« Si j’allais être là à quémander chaque jour, ce  serait énervant »

Aussi, il y a les voleurs d’herbes. Les  gens viennent nous voler nos herbes lorsqu’on  ne finit pas d’écouler. Raison pour laquelle nous avons pris un gardien de nuit pour y mettre fin.

Enfin, la municipalité. Ces agents nous interdisent la vente aux abords des  voies et nous ne savons que faire. Sans nous préciser où aller, ils nous somment de quitter les lieux or au Burkina Faso, il n’y a pas de marché qui peut rassembler tout le monde.

Faso7 : Que direz- vous à ceux qui croient toujours que c’est un métier salissant ?

Karim Ilboudo : Que chacun fasse son choix. Ce que je veux dire, nous sommes pareils. Quand tu ne connais pas le métier, il ne faut pas dire que ce sont des bêtes (idiots, ndlr) qui le font. On ne peut pas s’asseoir pour chercher du travail, il faut travailler pour en trouver un de meilleur.

On sait que ce n’est pas un bon travail, mais, pour des questions de survie, il le faut. Si j’allais être là à quémander chaque jour, ce  serait énervant. Il y a des problèmes lorsqu’ils dépassent tes fonds, tu peux aller demander quelqu’un s’il peut t’aider. Mais pour les affaires d’école, de manger, non, il faut éviter et c’est pour cela que je suis au bord de cette voie.

Joël THIOMBIANO (stagiaire)

Faso7

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