« Ma deuxième lettre : Ça marche, ça ne marche pas » (Siédjoukou Adama Soma)


Ceci est la deuxième lettre ouverte de l’écrivain-journaliste Siédjoukou Adama Soma adressée au Chef de l’Etat, le Capitaine Ibrahim Traoré, après la première publiée le 18 octobre 2022 sur Faso7.
Parlant de cette tribune en Russie, la première du genre où vous avez conquis les cœurs de milliers voire de millions de jeunes africains, je vous félicite pour votre intervention. Je ne voudrais pas parler de discours eu égard à la forme et aussi au fond qui se sont départis de ce qu’on a coutume d’entendre. Les paroles sont certes abstraites, mais elles contiennent l’énergie nécessaire pour activer le cœur et créer l’action. Si d’autres s’en « moquent » et considèrent que c’est du déjà entendu et que c’est des paroles de plus, je puis vous dire qu’ils sont plus nombreux, ceux pour qui votre intervention marque un nouveau pas, un grand pas dans la lutte engagée par nos pères pour la dignité de l’Afrique ; une lutte entrée en hibernation depuis des décennies et que vous venez de réactiver.
Camarade Président, après cette parenthèse introductive, je viens à présent vous dire l’objet de ma 2e missive à votre endroit. Depuis la première, la vie nationale a connu beaucoup de changements. Positifs ou négatifs, ils traduisent une seule et même réalité : ce n’est plus comme avant. Dans cette nouvelle donne, d’une part #ça_marche mais, d’autre part, #ça_ne_marche_pas.
ÇA MARCHE…
Camarade Capitaine, aux yeux de la nation et du monde, j’ai pu constater la constance du soutien populaire dont vous bénéficiez depuis votre « arrivée aux affaires ». Ce soutien est indéfectible car, on l’a vu, à maintes reprises, dans les quatre coins du Burkina Faso, ça marche !
Ça marche pour vous soutenir ; ça marche pour encourager nos vaillants combattants aux fronts ; ça marche contre l’impérialisme. Dans toutes les régions, zones rouges ou pas, ça marche ; sous le soleil, dans la poussière, dans la misère, ça marche. Pourquoi ? Parce que l’espoir que vous incarnez ne s’est pas encore effrité. Cependant, camarade capitaine, malheureusement et malencontreusement, certaines de ces marches versent dans culte de la personnalité, le culte de votre personnalité.
Je me réjouis de voir que, pour l’instant, ce piège ne s’est pas encore refermé sur vous. Je le dis car, comme vous le savez, des cas individuels s’affichant comme vos inconditionnels, ont fait les frais de leurs zèles excessifs et explosifs dans l’espace public. Passés devant la justice, ils « ont été traités avec succès » ; ils sont derrière les barreaux malgré le soutien en béton qu’ils étaient, croyant ainsi devenir des « intouchables » par ce simple fait.
Camarade Président, sur le plan sécuritaire, notamment le combat pour la reconquête de notre territoire, je suis de ceux qui pensent que #ça_marche. Malgré les travers de la guerre, nous sommes nombreux à voir ainsi les efforts et les actions concrètes menées sur le terrain. Les images parlent mais surtout les témoignages de nos amis et frères dans le feu de l’action nous rassurent que les choses bougent. Désormais, nos ennemis savent qu’ils ne peuvent plus nous endeuiller impunément car, les multiples frappes aériennes sont devenues une source d’inquiétude voire de phobie. Ça marche, selon plusieurs de vos camarades concitoyens, mais comme nous le savons tous, cela ne signifie pas que tout va bien ; ce n’est pas le cas mais l’espoir et les actions aidant, nous avons foi que la victoire viendra. Mais, il faut avoir la lucidité de dire aussi ce qui ne marche pas.
ÇA NE MARCHE PAS…
Camarade Président, vous le savez, même si ça marche partout pour vous soutenir, tout le monde ne vous soutient pas partout ; ce n’est pas tout le monde qui marche partout. Ceux qui ne marche pas pour vous auraient marché s’ils en avaient l’occasion, mais ce serait contre vous.
La mise en veille de dame démocratie les oblige, pour l’instant, à user des espaces d’expressions pour critiquer négativement les marches de soutien, et du même coup les failles dans votre présidence. Ce n’est pas un mal en soi d’ailleurs car, le savoir vous convainc davantage que vous ne pourrez jamais faire l’unanimité au sein de ce peuple dont vous avez pris la destinée en mains. Ces opinions sont à prendre en compte, comme par exemple la surenchère de la vie.
Camarade Président, paix a un coût, mais la guerre coûte encore plus chère ; nous le savons. Mais, l’augmentation assez fulgurante des charges financières est en train d’écraser le citoyen lambda. Sur ce plan donc, je puis vous dire que ça ne marche pas. L’environnement économique est morose, les affaires ne marchent pas mais les nouvelles taxes naissent et marchent très vite pendant que nos gains marchent au ralenti. Le sacrifice, il est impératif, patriotique et national certes, mais l’asphyxie ne serait-elle pas hautement contre-productive ? Nous parlons d’argent, en termes clairs, et l’argent, c’est bien le nerf de la guerre. A force de ponctionner dans nos maigres ressources encore amaigris, la solidarité nationale, très importante en cette période ne risque-t-elle pas de prendre un coup à cause du coût insoutenable des charges individuelles ?
Camarade Président, le récent démêlé militaro-judiciaire a fait parler et continue de faire parler. Des voix qui s’élèvent et viennent s’ajouter au lot de ce qui ne marche pas. C’est une alerte à prendre en considération vu qu’elle met aux prises deux pouvoirs censés être indépendants, séparés depuis des lustres. A considérer que chaque objet de ce qui ne marche pas soit potentiellement un autre front, je crains que le front national vital de la guerre anti-terroriste ne soit submergé par le foisonnement de divers fronts internes.
Camarade Capitaine, faites attention à cette génération qui vous adule, qui vous défend, qui vous admire, qui croit en vous. Puisque vous appartenez, vous et moi, à cette génération, point n’est besoin de vous dire qu’elle voit de plus en plus les choses autrement et agit autrement. Vous savez ce dont elle est capable et jusqu’où peut aller sa détermination quand elle voit un grain d’espoir mais aussi et surtout quand elle perd espoir et confiance.
Sans être Sankara, vous avez contribué à le réveiller dans nos cœurs. Vous l’avez fait en incarnant ses idéaux, en les faisant revivre par la pratique et la parole. Cela est un acquis, aussi bien au sein de la population burkinabè que celle africaine. En témoigne l’effervescence de la jeunesse africaine suite à votre participation au sommet Russie-Afrique.
A ce stade, camarade Président, j’aimerais vous partager ma conviction : s’il a été difficile de réveiller Sankara dans le cœur de la jeunesse, ce que vous avez pu faire, l’y éteindre sera une mission bien plus ardue. Au lendemain de la fête notre indépendance formelle, et au surlendemain de la commémoration de la révolution démocratique et populaire, je vous formule mes meilleurs vœux pour l’atteinte de vos objectifs qui sont aussi les nôtres.
Je vous prie d’ouvrir l’œil et d’agir en conséquence sur le volet « ça ne marche pas » qui, de mon analyse relève plus des faits de vos collaborateurs, que de vous-même. Hélas, vous êtes la tête et de ce fait, la responsabilité vous incombe.
Vive le Burkina Faso des vertus, que la sagesse vous guide et que le ciel vous protège de la colère des hommes de mauvaises volontés.
Siédjoukou Adama Soma, Journaliste-Ecrivain