Garghin : Appelés à déguerpir, des habitants invitent la SONATUR au dialogue

« M’Zaka », (ma maison en langue Morée), est l’une des expressions qui procure le plus de bien-être aux Burkinabè. Dans un pays où les prix des loyers ne sont pas encadrés et ne sont pas à la portée du citoyen moyen, avoir une maison à son nom afin de ne plus subir les pressions des bailleurs à chaque fin du mois, devient le principal objectif d’une vie pour bon nombre de Burkinabè. C’est certainement dans le but d’atteindre cet objectif, être capable de dire « M’Zaka », qu’une centaine de ménages du quartier Garghin, situé à la sortie sud de Ouagadougou et relevant de la commune de Komsilga, ont acquis, sans le savoir, selon eux, des parcelles sur un site de la Société nationale d’aménagement des terrains urbains (SONATUR), ‘’illégalement’’ morcelé et vendu par des promoteurs immobiliers ‘’véreux’’.

Tout allait bien pour les habitants de ce quartier jusqu’au 20 février 2023, date à laquelle la SONATUR, à travers un communiqué, a informé l’opinion publique et particulièrement les habitants de Garghin qu’ils sont illégalement installés sur un site lui appartenant.

« Il me plaît de rappeler que ce site est partie intégrante du domaine de la SONATUR, suivant l’arrêté conjoint N°2022-007/MUAFH/MATOS portant autorisation de lotir des secteurs 48, 49, 50 et 55 dans la commune de Ouagadougou, Province du Kadiogo, Région du Centre du 28 décembre 2022 et par conséquent, aucune structure, encore moins un individu, ne peut y opérer une quelconque opération. La SONATUR engagera des poursuites contre tous ceux qui seraient mêlés de près ou de loin à ces pratiques frauduleuses », lit-on dans le communiqué.

Début du litige…

Quelques jours après ce communiqué, notamment le 28 février 2023, des agents de la SONATUR et de l’Office national du Contrôle des aménagements et de la Construction (ONC-AC) ont arraché des bornes ‘’illégalement’’ implantées sur la propriété en question. Sur les murs des installations et des constructions  »illégalement » réalisées, des décisions de démolition ont été marquées en rouge. C’est le début d’un litige foncier. Ce n’est pas le premier du genre au « Pays des Hommes intègres ».

Le site de Garghin est étendu sur une superficie d’environ 12 km2, selon les résidents. Même si la SONATUR est dans ses droits, les habitants du site litigieux n’ont pas l’intention de déguerpir. Ils ne comptent pas accepter la démolition de leurs habitations réalisées à coup de millions pour certains. Ils l’ont dit ce samedi 11 mars 2023 lors d’un meeting organisé sur le site en question.

Un bâtiment à démolir sur le site litigieux – ©Faso7

Pour eux, la démarche adoptée par la SONATUR pour leur annoncer la décision de démolition n’est pas la bonne. C’est ce qu’a exprimé Paul Bénao, porte-parole des résidents.

« Ce sont les propriétaires terriens qui ont décidé de borner leurs lieux et de les attribuer. C’est ainsi que nous sommes venus nous procurer des parcelles pour des habitations. Nous n’avons pas volé. (…) Nous étions à la maison, nous voyons des gens qui débarquent avec la police avec des Kalachnikovs, ils écrivent sur nos murs sans nous consulter. C’est de la pire torture », explique-t-il.

Préserver la cohésion sociale

Pour le porte-parole des populations appelées à déguerpir, la mise en application de la décision de la SONATUR va fragiliser le tissu social. « De Garghin jusqu’à Balkuy, ce sont des milliers d’habitants qui y sont. Pour déguerpir toutes ces personnes-là, c’est détruire une nation. Nous parlons actuellement de la paix. Je pense que ce n’est pas un acte de paix », poursuit-il.

Dans son communiqué, la SONATUR dit avoir interpellé plusieurs fois les populations sur les risques de morceler, de vendre et d’acquérir des parcelles sur le site qui lui va de droit. Information que Paul Bénao réfute catégoriquement.

« C’est de la pire torture » (Paul Bénao, en lunettes tenant des clés) -©Faso7

« Depuis que je suis ici, je n’ai jamais été contacté par la SONATUR. Précédemment, ce sont les gens de la SONABEL plutôt qui ont discuté avec la population par rapport à la limite. La SONABEL est venue limiter. Le reste appartient aux propriétaires terriens qui l’ont borné et qui l’ont attribué aux riverains », soutient le porte-parole des habitants.

Manque de transparence dans l’affaire

Pour Issaka Nikiéma, ce sexagénaire, également habitant du site litigieux, au-delà du manque de communication de la part de la SONATUR, il existe un manque de transparence dans l’affaire qui les oppose désormais à la nationale de l’aménagement.

« L’affaire est tachée de mensonges » (Issaka Nikiéma, en lunettes) -©Faso7

« Puisque, si la SONATUR se proclame propriétaire du terrain aujourd’hui, ses responsables doivent se rappeler que lors des bornages, ils nous avaient promis de nous octroyer quelque chose après. Après les bornages, ils nous ont laissé tomber. (…) La vérité est claire, mais vu que nous sommes des petites gens nous ne pouvons pas nous affirmer pleinement. Nous voulons une rencontre, qu’ils viennent. S’ils viennent, ils sauront. Sinon, l’affaire est tachée de mensonges », laisse-t-il entendre, mégaphone en main, sous les acclamations des autres habitants.

Le combat pour éviter la démolition des constructions n’est pas seulement l’affaire des hommes. Plusieurs femmes, pancartes en main, ont pris part au meeting. Elles considèrent que c’est un passage en force que la SONATUR veut opérer. Majoritairement des femmes au foyer et des mères de famille, elles disent être inquiètes pour leur avenir. C’est le cas de Sandra Tapsoba.

« C’est la force qu’on veut faire aux gens de Garghin. Ce n’est pas bien. Si on démolit, on n’a pas où aller. Les gens ont pensé à l’avenir de leurs enfants. Ils ont misé pour pouvoir construire. Je suis très inquiète. Je demande aux autorités, une grande aide. Qu’elles viennent voir. C’est vrai qu’il y a des riches, mais il y a des pauvres aussi qui démarrent chaque matin pour sous le chaud soleil pour aller travailler pour venir donner à manger à leurs femmes et à leurs enfants. Il faut que l’Etat regarde », s’exprime-t-elle, la gorge sèche avec son enfant dans les mains.

Des habitants toujours prêts à dialoguer

Dans le but de trouver une solution à cette affaire, les habitants du site litigieux disent avoir essayé plusieurs fois, sans succès, de rencontrer le ministre d’Etat, Bassolma Bazié. Qu’à cela ne tienne, ils ne comptent pas démolir leurs habitations. Ils ne comptent pas aussi quitter le site. Ce qu’ils proposent, c’est que la SONATUR vienne les rencontrer afin qu’ensemble, ils trouvent une issue favorable.

« Nous attendons une concertation. Nous attendons aussi qu’il ait un arrangement plus vite. Même si on veut viabiliser, c’est pour des Burkinabè. Nous sommes déjà des Burkinabè. Pourquoi venir nous déguerpir et viabiliser pour d’autres personnes ? Non. Il y a des gens qui ont investi toute leur vie pour faire des bâtiments de plus de 40 millions ici. Des R+ (Construction à niveau, Ndlr). Comment vous allez demander à cette personne-là de démolir ? Par exemple un agent de l’Etat qui a pris un crédit de 10 ans à la banque pour venir faire sa maison afin d’habiter avec sa famille, vous venez, vous casser cette maison. Vous avez détruit toute une vie. C’est une génération que vous avez détruite en faisant ça. C’est à la SONATUR de revenir et trouver un terrain d’entente avec les propriétaires terriens, les promoteurs immobiliers et les habitants »exhorte le porte-parole des habitants du site litigieux.

Des habitations dont les constructions terminées, mais qui doivent être démolies -©Faso7

A en croire un communiqué publié sur le site internet de la SONATUR, le site de Garghin, objet du litige, est une zone d’aménagement spécial déclarée d’utilité publique dénommée « Ouaga 2000 » en 1996 et transférée à la SONATUR en mai 1998. Elle constitue une bande de servitude des pylônes de la SONABEL.

Il faut noter que les problèmes liés au foncier sont de plus en plus récurrents au Burkina Faso. C’est dans le but de résorber un tant soit peu ces problèmes que le gouvernement de la Transition a annoncé la mise en œuvre prochaine du programme de restructuration urbaine des zones d’habitat spontané communément appelées « non-loties ».

Lire aussi ➡ Litige foncier à Komsilga : Plus d’une centaine de personnes sommées de déguerpir avant 08 jours

Amadou ZEBA

Faso7 

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Un commentaire

  1. Ils ont investi dans le vide. Ils savent qu’ils se sont fait bernés par les propriétaires terriens et les promoteurs immobiliers. Qu’ils demandent aux ex habitants de Kokody, Deux plateaux. Ils sauront ce qu’on peut faire sans soucis.
    La sonatur a interpellé plusieurs fois ces riverains. Certaines personnes ont même signifié que nul dans ce pays ne pouvait les déguerpir dans cette zone. Ils y a des innocents, certes. Mais il y en a aussi qui sont de pure bandits et qui veulent se mesurer à la loi.
    La sonatur devrait beaucoup réfléchir pour afin de résoudre ce problème en tenant compte d’autres situations passés et futurs.

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