Burkina Faso : De « Babenda » à Johaness, Jean-Aimé Bayili se découvre

Jean-Aimé Bayili, Babenda, Johaness ou encore Johny Johny. Cet homme n’est plus à présenter car il a su se faire une place de choix dans le milieu de l’humour. Alors qu’il a rejoint le Burkina Faso depuis la Côte d’Ivoire afin de poursuivre son cursus scolaire, il est très vite piqué par le virus de l’art. Avec d’autres camarades passionnés de l’humour, ils montent un groupe humoristique dénommé « Génération 2000 » dans les années 1990 alors qu’il venait d’avoir son baccalauréat série G2. Face au micro7 le 26 avril 2022, Jean-Aimé Bayili se laisse découvrir.

Né le 3 janvier 1970 à Nanoro (province du Boulkiemdé, région du Centre-Ouest du Burkina Faso, ndlr), Jean-Aimé Bayili est un humoriste des premières heures au Burkina Faso. Après un passage dans le pays de la Lagune Ebrié où il fait ses premiers pas à l’école, il revient au Burkina Faso pour continuer ses études. Avec son Baccalauréat en poche durant l’année scolaire 1989-1990, le jeune Jean-Aimé Bayili d’alors décide d’abandonner les bancs.

« Après le Bac, j’ai décidé de me prendre en charge », glisse-t-il lors de notre rencontre le 26 avril 2022. Cette décision, il l’a prise à l’insu de sa famille. « A l’époque, personne n’allait encourager son enfant à laisser l’école pour embrasser une carrière d’humoriste », se souvient-il.

Assis dans le studio de Faso7, Jean-Aimé Bayili n’était pas Babenda. Une chemise griffée. Une casquette bien vissée sur sa tête. Le visage serein. Notre interlocuteur du jour a décidé de se dévêtir de Babenda pour nous conter et son enfance.

Nous sommes en 1990. Alors que beaucoup prédisent la fin de l’humanité, avec deux autres amoureux de l’humour désireux de marquer leur époque et rentrer dans l’histoire, ils décident de monter un groupe et de l’appeler « Génération 2000 ». D’un groupe de danse parodique au départ, Génération 2000 a mué pour devenir un groupe humoristique.

Et pendant que Jean-Aimé Bayili est lancé dans la narration de son enfance et du début de sa carrière, il fait un détour pour nous raconter une anecdote. Et pour cette histoire, il nous confie que c’est l’une de ses préférées. Et nous rassure qu’il n’en a pas mal.

« Quand on a commencé et ça marchait, on a commencé à jouer les réveillons de nouvel an à la télévision. A l’époque, tout le monde se regroupait la nuit devant la télé pour suivre le réveillon. Mes parents avaient quitté la Côte d’Ivoire pour venir au Burkina Faso.

Ils étaient en train de suivre aussi l’émission avec d’autres personnes. Quand on est passé, les gens qui étaient là ont dit qu’ils ont bien rigolé et ils ont même très bien apprécié. C’est alors qu’un oncle a dit que c’est Jean-Aimé et son groupe.

Il est resté bouche ouverte parce qu’à l’époque, ce n’était pas n’importe qui qui passait à la télé et de surcroit, pour le réveillon du nouvel an. A partir de ce moment, il a commencé à accepter et respecter le travail que je fais »

Jean-Aimé Bayili

Jean-Aimé Bayili (Babenda), Babou Michel Neya (Benga) et Soumaila Sawadogo (Gonrette), les trois membres fondateurs de « Génération 2000 », étaient loin de s’en douter, mais ce groupe va traverser les âges et s’installer dans les cœurs des Burkinabè et du reste du monde. Des plus petits aux anciens en passant par les jeunes, tous se sont laissés séduire par les spectacles et les représentations de « Génération 2000 ». Sur scène, ils ont imprimé leur style. Visages badigeonnés d’une poudre de craie blanche. Babenda et Benga sont reconnaissables par leurs ventres factices et Gonrette déguisée en femme avec un postérieur exagérément rebondi.

Vidéo – Les 10 questions pour connaître Babenda

… le testament de Babenda

Ce grand homme de par la taille que par l’immensité de son talent, a réussi à adopter son personnage. « Au lieu de ressembler aux autres, nous, notre particularité était de faire de la danse humoristique et d’envoyer des textes aussi », soutient Jean-Aimé Bayili. Une originalité qui a permis au groupe d’être adopté par le public. Les mots sont choisis avec tact. La tournure des phrases. Le scenario bien élaboré. Le tout donne des sketchs risibles à se rompre la mâchoire.  Du peu de temps passé avec Jean-Aimé Bayili alias Babenda, nous en avons bien profité dans le studio de Faso7. « Je ne suis pas sérieux » nous dit-il quand, après une blague, nous n’arrivons pas à nous ressaisir pour continuer l’entretien.

Après cet intermède, notre invité reprend un air plus solennel pour la suite. Plus d’un quart de siècle après, la passion pour cet art n’est toujours pas passée du côté de celui qui s’est donné pour nom de scène, « Babenda ». Mais pourquoi ce nom ?

« Mon plat préféré est le Babenda et je n’ai pas voulu réfléchir au moment de choisir le nom », réplique-t-il immédiatement. En passant, Jean-Aimé Bayili souligne que, pour les autres membres du groupe, c’est le même principe qui a conduit au choix des noms. Le trio formé se composait alors de « Babenda », « Benga » et « Gonré » ou « Gonrette ». Mais au moment commence à vivre titiller la gloire, les trois amis vont être frappés par un drame. Gonrette décède en 2019. Une période visiblement douloureuse pour notre invité.

Evoquant cet épisode triste de la vie du groupe, l’atmosphère devient nuageuse dans le studio. Babenda a le regard vide. Sa mine se froisse. Après quelques balbutiements et un grand soupir, il se lâche. « C’est le pire moment de ma carrière », convient-il. Au fil des années, une complicité était née entre lui et le regretté « Gonrette » qui incarnait le rôle de sa femme dans leurs sketchs. Cette perte a marqué tout le groupe. « On a été tous choqué », insiste-t-il.

Une réadaptation des spectacles avec désormais deux membres. Une vie sans le disparu et toujours une pensée pour « Gonrette » lors d’un spectacle ou une prestation, ce sont là le quotidien du désormais duo. Duo par la force des choses. Duo à cause de la faucheuse. Mais trio toujours dans l’esprit. « Des fois, il m’arrive de jouer à un spectacle et je pense à notre ami. Il me donne toujours la force et la motivation », indiqué Babenda.

Pour passer à une autre étape dans leur carrière, le groupe a cependant opté pour un autre volet de l’humour, qu’est la formation. A cet effet, Jean-Aimé Bayili a mis en place « Camp vacances humour » qui se tient chaque année et est à sa 7e édition en 2022. Ledit camp offre un cadre de formation pour les jeunes artistes. Ainsi, des artistes humoristes tels que Momo l’intellectuel, Les Homotockés, Soum le sapeur et bien d’autres sont sortis de cet incubateur.

De l’avis de Jean-Aimé Bayili, cette ambition de se lancer dans la formation est née d’un constat. « On a voulu le faire parce que quand on va partir, les gens vont se demander ce qu’on a légué à la jeunesse », explique-t-il. C’est dans une logique de partage de leur héritage que cette volonté est venue.

Mais au-delà de la formation, Babenda s’est aussi lancé dans une autre aventure. Celle de Maitre de cérémonie. Là il s’est adjugé le surnom de Johaness ou encore Johny Johny. « Ici, j’ai voulu être un jeune et j’ai voulu faire un peu dans le hip Hop », s’explique-t-il.

La famille, c’est la famille et le travail, c’est le travail

Marié et père de trois enfants, arriver à concilier vie de famille et carrière artistique est souvent une épine pour les artistes. Sur cet aspect, l’invité du Face au micro7 a expliqué qu’il faut savoir mettre chaque chose à sa place. La famille, c’est la famille et le travail, c’est le travail de l’avis de Jean-Aimé Bayili.

Allant plus loin dans son argumentaire, il explique que si chaque entité occupe et joue bien son rôle, les choses coulissent normalement. En sommes, en famille, Jean-Aimé Bayili règne en maitre et Babenda surgit sur scène. Une réalité soutenue par sa fille, Carine Stéphanie Bayili, étudiante en année de licence.

Comme on le dit souvent, « c’est un portrait craché » de son papa. Jeune, belle, intelligente et joyeuse, la fille de Babenda pourrait être considérée le sosie de Jean-Aimé Bayili. « A la maison, je peux dire que l’humoriste n’existe plus (…) il n’y a que monsieur Bayili Jean Aimé. Il est assez fermé surtout quand il s’agit de l’école », dit-elle. Au fur et à mesure que notre entretien avance, nous nous sommes fait une idée de qui est Babenda une fois qu’il a enlevé ses maquillages et son accoutrement.

Du côté de la famille, c’est un homme « doux », « attentionné » et « strict » qui est dépeint par Carine Stéphanie Bayili. Visiblement, elle montre beaucoup d’affection à l’endroit de son père. Elle a même fait murmurer qu’elle peut passer des heures à parler de lui. « C’est un père très présent pour nous quand il le faut. Mon père est free », lance-t-elle comme dernier mot pour mettre fin à notre entretien. Et comme si le seul témoignage de la fille ne suffisait, le frère cadet de Babenda, Toussaint Bayili confirme encore la même affirmation.

« Il a énormément d’amour pour son prochain »

Décidément la famille Bayili, la ressemblance est la chose qui se partage le mieux. Des traits physiques conforment à ceux de son grand frère, c’est le constat à première vue dès que nous voyons Toussaint Bayili. Mais s’il y a une chose que Babenda a pu développer et qui lui est propre, c’est sa capacité à demeurer joyeux et de bonne humeur malgré les situations difficiles.

« Humainement, c’est quelqu’un qui a d’énormes valeurs. Il a énormément d’amour pour son prochain », lance le frère ainé de Babenda. Il continue en relatant que c’est un homme qui a le sens de l’écoute et considère ses proches.

Pour Toussaint Bayili, Jean-Aimé Bayili est un frère, un père et un ami pour lui. « Même quand la situation est tendue, il trouve toujours le moyen de détendre l’atmosphère. Il n’aime pas les disputes aussi », dit-il avant d’ajouter que « c’est une fierté et c’est une bénédiction » de l’avoir comme « grand-frère », « père de famille ».

Vidéo – Le coup de gueule de Jean-Aimé Bayili

S’il y a une personne aussi importante pour Jean-Aimé Bayili que sa famille, c’est bien son acolyte, Babou Michel Neya alias Michou ou encore Benga. Une amitié qui perdure depuis maintenant 33 ans, c’est le constat fait. Selon Babenda, la relation entre les deux est allée plus loin que l’aspect professionnel.

Comme Babenda nous l’avais dit, Benga, c’est une autre personne. Moins blagueur et plus sérieux, c’est ce qu’il a nous dit. Et quand nous nous retrouvons face à Babou Neya et après quelques mots engagés, c’est cette phrase qui nous est revenue.

Pour Benga, la relation qui le lie à son « frère » est « exceptionnelle ». Fixant une photo de son collègue dans son téléphone, il s’apprête à nous relater leur histoire. « Ça fait maintenant 33 ans qu’on travaille ensemble », dit-il. Tout heureux, Benga relate qu’au fil des années, ils ont appris à se connaître. « Nos familles se connaissent et se fréquentent ». En d’autres termes, il fait comprendre que les membres du groupe Génération 2000 font partie de la même famille maintenant.

 « Jean-Aimé est devenu mon frère », lance-t-il, tout fier et les mots pour décrire son acolyte coulent. « C’est le gars modéré, posé et toujours de bonne humeur. Il joue le rôle de détonateur dans génération 2000. Il envoie la bonne humeur et est toujours prêt pour les autres », décrit-il.

Avec un air plus solennel, Benga va nous expliquer comment un comportement peut-être à la fois une qualité et un défaut pour une seule personne. « En fait, comme il est trop accessible et au service des autres, les gens abusent de lui. Il rend beaucoup service aux gens, mais n’a pas toujours la reconnaissance qu’il le faut. Il est excessivement bon avec les autres » clame-t-il.

Comme récompenses, il faut noter que Génération 2000 a reçu des prix un peu partout à travers la sous-région et au Burkina Faso. On peut citer, entre autres, un ouistiti d’hommage, le 1er prix du championnat du monde du combat des fanfares en France en 2004 sur 8 équipes internationales et des prix spéciaux lors d’autres événements. Le groupe a été décoré en 2017 et ils sont chevaliers de l’ordre et du mérite.

Basile SAMA

Faso7

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page